Le présent dossier est issu d’un colloque consacré à la Charte sociale organisé à l’Université de Strasbourg le 20 septembre 2019 par Mmes Agathe Rivière et Aline Venant, ATER à l’université de Strasbourg, sous la responsabilité du Professeur Benoit-Rohmer. Ce colloque s’inscrit dans la continuité du séminaire d’experts, « Renforcer la protection des droits sociaux en Europe pour plus d’unité et d’égalité », organisé la veille au Conseil de l’Europe dans le cadre de la Présidence française du Conseil des Ministres de cette organisation en partenariat avec l’Institut de recherches Carré de Malberg de l’Université de Strasbourg. Ce séminaire répondait aux vœux de la présidence française de renforcer l’effectivité des droits sociaux afin de mieux garantir la justice sociale et de répondre aux défis contemporains qui se posent auhourd’bui en matière sociale sur notre « Vieux continent ». Dans ce but, la France milite aujourd’hui pour réformer et moderniser les mécanismes de suivi et de contrôle mis en place par la Charte sociale afin de permettre une plus grande appropriation, par les Etats membres, des rapports et des conclusions du CEDS (Doc. 1).
Ce dossier entend démontrer que si l’influence de la Charte sociale n’a cessé d’augmenter depuis son entrée en vigueur, celle-ci présente des potentialités encore inexploitées qui devraient faire d’elle l’instrument incontesté de protection des droits sociaux tant au niveau européen que dans les droits internes des Etats parties.
A l’échelle européenne, il s’agit de renforcer les liens déjà existants entre la Charte sociale et la convention européenne des droits de l’homme et avec le droit de l’Union européenne. Le bilan mitigé de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de protection des droits sociaux et le peu de références de sa jurisprudence à la Charte sociale interroge (Docs. 2 et 3). En revanche, l’Union européenne se réfère plus volontiers à cet instrument. Outre les références à la Charte sociale effectuées dans le Traité sur l’Union européenne (article 6) et le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (article 151 TFUE), la plupart des droits garantis par la Charte sociale révisée trouvent désormais des correspondances, bien qu’avec parfois quelques différences quant à leurs contenus, avec des dispositions du droit primaire et du droit dérivé de l’UE. De plus, la Charte des droits fondamentaux de l’UE s’est inspirée de la charte sociale qui constitue également l’un des fondements du « socle européen des droits sociaux » tant souhaité par le président Juncker (Doc. 4). Une consolidation des synergies entre la charte sociale et le droit de l’Union européenne ne devrait-elle pas alors passer par l’adhésion de l’Union européenne à celle-ci pour faire de la charte sociale la véritable constitution sociale de l’Europe?
Au niveau national, malgré les efforts du Comité européen des droits sociaux, l’impact de la Charte reste minime. L’approche face à la Charte sociale varie d’ailleurs selon les Etats, mais trop nombreux encore sont les juges nationaux qui, comme le juge français, se montrent réticents à accorder un effet direct à ses dispositions (Docs. 5 et 6). L’attitude du juge espagnol pourrait servir d’exemple car il est plus réceptif à promouvoir les droits garantis par la Charte (Doc. 7).
Enfin, l’idée serait de mieux intégrer la Charte sociale dans le contexte international. La mondialisation pose aujourd’hui la question de la capacité́ des organisations économiques et financières à prendre en considération les droits économiques et sociaux. La fragmentation du système multilatéral doit être évitée et toute réforme éventuelle du mécanisme de la Charte devrait être mis en perspective avec d’autres mouvements similaires, tels que les réformes envisagées par l’Organisation internationale du Travail (Doc. 8).
La Charte sociale, instrument de plus en plus présent en Europe, pourrait ainsi devenir l’instrument de l’avenir, qui permettrait non seulement de renforcer l’acquis social et l’effectivité des droits sociaux, mais aussi que sa place de Constitution sociale de l’Europe soit méritée.
LISTE DES CONTRIBUTIONS
Doc. 1 – Jan Malinowski, Write up of the remarks made at the opening of the colloquy‘ European Social Charter, an Instrument of the Future!
Doc. 2 – Robert Spano, La prise en compte de la Charte sociale européenne dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
Doc. 3 – Jean-Pierre Marguénaud, La critique de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme liée aux droits économiques et sociaux
Doc. 4 – Sacha Garben, The European Pillar of Social Rights and the European Social Charter
Doc. 5 – Nicolas Moizard, La Charte sociale valorisée par les juges nationaux : le rôle perturbateur des syndicats
Doc. 6 – Carole Nivard, Le rôle des juges nationaux dans l’application de la CSE en France
Doc. 7 – Carmen Salcedo Beltran, Le rôle des juges nationaux dans l’application de la CSE en Espagne
Doc. 8 – Edoardo Stoppioni, Les droits économiques et sociaux et les organisations internationales financières et commerciales
Doc. 9 – Petros Stangos, Propos conclusifs