Je voudrais commencer cette contribution par le titre du Colloque dont elle émane, « La Charte sociale européenne : un instrument d’avenir ! », pour préciser qu’en Espagne, depuis l’année 2013, la Charte sociale européenne (ci-après : la Charte) et l’interprétation authentique du Comité européen des droits sociaux[1](ci-après : le Comité) par le biais de ses décisions sur le bien-fondé et ses conclusions, sont devenues les instruments les plus importants et les plus effectifs pour garantir les droits sociaux. C’est pour cela que j’avance l’affirmation, avec laquelle je finirai cette étude et après l’avoir démontrée, selon laquelle la Charte est un « instrument d’avenir » mais aussi et surtout « un instrument du présent » dans l’ordre juridique espagnol.
Pour fonder cette affirmation, j’ai structuré l’analyse en trois parties. Les deux premières portent sur le présent de la Charte et de la jurisprudence du Comité, alors que la troisième porte sur leur avenir. Plus précisément, la première constatera la situation actuelle au niveau législatif (I). La deuxième expliquera le rôle central et le travail remarquable effectué par les juridictions de première et de seconde instance en matière sociale, les deux permettant à l’Espagne de devenir l’État le plus avancé au regard de la mise en œuvre effective de la Charte (II). Enfin, la troisième abordera l’avenir législatif et judiciaire qui s’explique par un sentiment d’incertitude lié à l’absence de gouvernement stable depuis le 1er juin 2018[2](III).
Partie I – Le cadre législatif en vigueur
La législation actuelle de l’Espagne au regard de la Charte est déplorable[3]. Je ne manque pas de reprocher l’absence de ratification de la version révisée de la Charte et du Protocole sur les réclamations collectives à chacune de mes interventions en Espagne, quelle que soit l’entité qui organise la conférence ou colloque, peu importe qu’il s’agisse de partis politiques, du gouvernement, de syndicats, etc… Même si le Protocole n’a été ratifié que par quinze États membres[4], la première l’a été par trente-quatre. La réalité espagnole est inadmissible, inexcusable et incohérente dans la mesure où la Charte est aujourd’hui considérée comme la « Constitution sociale de l’Europe »[5], c’est-à-dire le traité le plus important en ce qui concerne les droits sociaux.
Différents rapports du Conseil d’État considèrent que cette ratification est possible et qu’il n’existe aucune raison pour ne pas l’effectuer. Dans son avis du 11 mai 2000[6], il a notamment déclaré en ce qui concerne la Charte révisée qu’« en principe, son application dans notre pays ne pose pas de problèmes, puisqu’elle est en conformité avec notre droit interne, donc sa ratification n’impliquerait aucune modification de notre législation »[7]. Pourtant, cette même institution signale aussi l’existence « d’une certaine réticence des États membres, surtout de ceux appartenant à l’Union européenne, envers la ratification de ce texte, même si la plupart d’entre eux l’ont signé. Celle-ci ne répond qu’à l’inclusion dans le texte en vigueur de plus d’obligations et à l’interprétation de celles-ci, et de leur portée, réalisée par le Comité d’experts Indépendants »[8].
Les prétextes pour ne pas ratifier la Charte révisée concernent principalement le rôle attribué au Comité[9]. En somme, il n’y a pas d’objection non surmontable par rapport à un engagement théorique à l’égard des droits inscrits dans ce texte, ce qui signifie que la préoccupation centrale concerne surtout le suivi du traité, autrement dit, sa supervision. Le gouvernement et les partis politiques promettent la ratification, surtout s’ils sont dans l’opposition, mais ces promesses ne sont pas tenues ou, permettez-moi l’expression, « ont toutes terminé en eau de boudin ».
Grâce au parti politique Unidas Podemos, le Conseil des Ministres avait enfin accepté, le 1er février 2019, de ratifier la version révisée de la Charte, mais pas le Protocole concernant les réclamations collectives[10]. À compter de cet accord important, nous avons commencé à travailler sur la question de la ratification du Protocole moyennant la déclaration spécifique d’acceptation de l’art. D, Partie IV de la Charte révisée[11]. Malheureusement, la convocation de nouvelles élections législatives générales, les quatrièmes en quatre ans[12], a stoppé cet accord et le processus a été repris à zéro.
Début octobre 2019 la responsable du Ministère de Travail, des Migrations et de la Sécurité Sociale en fonction promet publiquement de ratifier les deux instruments[13]. Le 30 décembre 2019, le Parti socialiste ouvrier espagnol et Unidas Podemos ont présenté un accord gouvernemental de coalition qui s’engage exactement sur les mêmes points[14]. On verra bien au cours des prochains mois, si ces ratifications vont s’effectuer. L’Espagne a donc ratifié jusqu’à aujourd’hui l’ensemble des dispositions de la Charte du 18 octobre 1961[15], le Protocole additionnel complétant les droits sociaux et économiques de 5 mai 1988[16] et le Protocole d’amendement du 21 octobre 1991 réformant le mécanisme de contrôle[17].
Cette situation montre qu’au niveau législatif, l’Espagne est en retard par rapport à la plupart des pays européens. Elle est liée par les droits et garanties qu’elle a reconnus ainsi que par les interprétations authentiques du Comité européen des droits sociaux par le biais de ses conclusions et aussi de ses décisions sur le bien-fondé. J’insiste sur le fait, que je développerai aussi plus loin, que si l’Espagne n’a pas ratifié le Protocole sur les réclamations collectives et si les réclamations collectives ne sont pas autorisées, il est cependant possible d’invoquer les décisions sur le bien-fondé si elles abordent un article ratifié par l’Espagne. Autrement dit, il faut différencier le « manque de légitimation » avec l’« effet direct ou invocabilité » de la décision sur le bien-fondé.
Partie II – La pratique judiciaire actuelle
À la différence des imperfections liées à la réticence, voire la résistance, des pouvoirs politiques au pouvoir, les juridictions nationales appliquent la Charte et la jurisprudence du Comité de manière très satisfaisante. C’est une situation étonnante, même incroyable et paradoxale par rapport à la situation décrite dans la première partie de mon analyse. Elle reste cependant réelle[18]. Se pose donc la question d’expliquer comment on est parvenu à ce succès.
En effet, ce succès s’expliquer par les nombreuses modifications législatives adoptées par le gouvernement espagnol à partir de l’année 2012, pour répondre aux exigences établies par l’Union européenne en échange de l’assistance financière reçue pour faire face à la situation critique du secteur bancaire. L’adoption de ces réformes a été facilitée par le fait que le Parti Populaire (la droite) détenait au Congrès des députés la majorité absolue lors de la dernière législature. Celle-ci avait permis l’approbation de Décrets-lois royaux en cas d’extraordinaire et urgente nécessité que la Cour constitutionnelle, à l’exception des votes dissidents émis par trois magistrats, a justifié par la crise économique, le déficit budgétaire et public, etc[19].
Les réformes qui ont été notamment adoptées portent sur les éléments suivants[20]:
Premièrement, la réforme du marché du travail qui réduit le montant de l’indemnité en cas de licenciement sans cause de 45 jours par année travaillée dans la limite de 42 mois, quelle que soit l’ancienneté de l’employé, à 33 jours dans la limite de 24 mois. Pour l’instant, il n’existe pas de plafonnement mais un parti politique (Ciudadanos) l’a incorporé à son programme ; deuxièmement, la facilitation pour les chefs d’entreprise de procéder à des licenciements collectifs pour motif économique (baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires, par exemple) ; troisièmement, la création d’un nouveau type de contrat dénommé « contrat de soutien aux entrepreneurs ». En général, le régime qui lui est appliqué est celui des contrats réglementés par le Statut des travailleurs (Estatuto de los Trabajadores[21]) et des conventions collectives qui s’appliquent aux contrats ordinaires à durée indéterminée, à l’exception toutefois de la durée de la période d’essai[22]. Cette dernière constitue le point le plus polémique puisqu’elle a été fixée à « une année » indépendamment du poste de travail et de la compétence préalable du travailleur. Les critiques de la doctrine ne se sont pas faites attendre, puisque le caractère à durée indéterminée du contrat reste assez relatif avec l’établissement de cette période d’essai d’une année, ce qui le transforme plutôt en un contrat temporaire sans cause ou un contrat à licenciement libre sans indemnité, avec une durée d’une année[23]. Depuis le 1er janvier 2019 ce contrat a été abrogé par le Décret-loi royal 28/2018 du 28 décembre sur la revalorisation des retraites publiques et pour d’autres mesures urgentes en matière sociale, du travail et d’emploi ; quatrièmement, au regard des conventions collectives et du droit à la négociation, un grand nombre de modifications ont eu lieu, parmi d’autres, la priorité aux accords d’entreprise, le délai maximum des conventions collectives en vigueur fixé à deux ans, la possibilité pour les chefs d’entreprises de modifier très facilement les conditions de travail, la modification de la classification des salariés dans les conventions collectives. Cette dernière se réalisait auparavant par catégories, elle se fait actuellement par groupes professionnels, ce qui aboutit à ce qu’un travailleur soit obligé d’exercer plusieurs fonctions et postes du travail au sein d’une même entreprise. En revanche, la modification la plus importante concerne le fait que l’entrepreneur est unilatéralement autorisé à ne pas appliquer les conditions de travail préalablement convenues avec les représentants des travailleurs dans les pactes et conventions librement négociés au niveau des entreprises. Bref, les entrepreneurs sont autorisés à suspendre ou à écarter les questions contenues dans une convention collective et à déroger unilatéralement aux conventions collectives librement négociées.
Outre ces évolutions, il est aussi utile de mentionner les éléments suivants. Tout d’abord, l’autorisation donnée au Gouvernement d’ordonner, dans des circonstances exceptionnelles, la reprise du travail par voie d’arbitrage obligatoire, compte tenu de la durée ou des conséquences d’une grève, de l’attitude des parties et de la gravité du préjudice porté aux droits et libertés d’autrui et à l’économie nationale. Ensuite, l’absence de consultation des syndicats ou des organisations d’employeurs les plus représentatifs. De plus, l’exclusion de l’accès des étrangers en situation irrégulière aux soins de santé financés par des fonds publics au travers du système national de santé des étrangers en situation irrégulière, sauf dans des « situations spéciales », adoptée par le Décret-loi royal 16/2012, du 20 avril, sur les mesures urgentes visant à garantir la viabilité du système national de santé et à améliorer la qualité et la sécurité des prestations. Ce dernier portait modification de la Loi organique 4/2000 du 11 janvier, sur les droits et libertés des étrangers en Espagne et sur leur insertion sociale et de la Loi 16/2003 du 28 mai, sur la cohésion et la qualité du système national de santé et ajoutait un nouvel article 3 ter (assistance sanitaire dans des situations particulières : urgence à cause de maladie grave ou accident ; assistance à la femme enceinte, avant et après l’accouchement ; étrangers mineurs de dix-huit ans). Heureusement, la couverture universellea été rétablie par le Décret-loi royal 7/2018, du 27 juillet, sur l’accès universel au système national de santés.
Enfin, en ce qui concerne les pensions, les réformes prévoient l’abrogation du mode de calcul de leur revalorisation, en ne prenant pas en compte l’inflation mais un système qui fournit au Gouvernement une grande marge de manœuvre, ce qui aura pour effet d’entraîner, entre autres, un recul du pouvoir d’achat, l’introduction du facteur de durabilité pour tous les nouveaux retraités, l’indexation du montant des retraites à l’espérance de vie et à la croissance du pays ainsi que des modifications concernant l’âge légal pour partir à la retraite[24].
Or la plupart des réformes adoptées ne respectent pas les engagements de l’État au regard de la Charte. Les premières personnes licenciées ou affectées par celles-ci ont saisi les juridictions de première instance pour contester ces mesures sur la base des droits de la Charte. À partir de l’année 2013, les juges de première instance ont commencé à reconnaître l’effectivité des droits de la Charte moyennant un « contrôle de conventionalité » au regard de la Charte garanti par l’article 96 de la Constitution[25] et par la loi 25/2014 du 27 novembre sur les Traités et autres accords internationaux, qui la complète. Il faut souligner, entre autres, les articles 28 et suivants de cette loi qui sont libellés comme suit : « Une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité », « Les traités internationaux seront d’application directe sauf si leur texte demande des lois à ce sujet (…) », «Tous les pouvoirs publics doivent respecter les engagements internationaux », « Les Traités ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois sauf la Constitution ».
Le 19 novembre 2013 le juge de l’ordre social nº 2 de Barcelone a rendu le premier jugement portant sur la période d’essai d’un an du contrat de travail à durée indéterminée de soutien aux entrepreneurs. Il a mis en exergue certains principes extrêmement importantes en affirmant que la Charte « (…) est un traité international qui fait partie du droit interne (…) avec la même valeur contraignante que les traités de l’Union européenne ; ceci dit, et compte tenu du principe de la hiérarchie des normes, il a une valeur supérieure à la Loi nationale (…) »[26]. À partir de cet important jugement, au cours des années 2014 et suivants, même s’il n’y avait pas d’unanimité entre les juges, ceux de première instance résistaient au cours des années 2014 et suivantes et, en plus et se ralliaient à cette position dans des matières différentes[27].
Quant aux magistrats de la deuxième instance, ils étaient à l’origine particulièrement réticents vis-à-vis des jugements de la première instance. La situation va changer à partir de 2017[28], et des arrêts qui valident certains jugements de la première instance commencent enfin à être prononcés. C’est ainsi que, de nos jours, l’effet direct de la Charte et de la jurisprudence du Comité a été admise dans les sept domaines[29] suivants : (a.) le contrat de soutien aux entrepreneurs et la période d’essai de douze mois[30] ; (b.) l’abrogation de la revalorisation des pensions[31] ; (c.) la reconnaissance de la période d’astreinte dans la journée de travail[32] ; (d.) la garantie d’un niveau minimum suffisant des allocations[33] ; (e.) la protection juridique de la famille concernant l’aménagement de la journée de travail[34], (f) le droit de la mère et de l’enfant à une protection sociale et économique[35] et (g.) le droit à la sécurité et à l’hygiène dans le travail face à un licenciement pour les absences répétées ou prolongées au travail suite à une maladie[36].
Il faut insister sur trois points des jugements et arrêts qui concernent l’effet contraignant des articles ratifiés de la Charte, l’effet direct « entre particuliers » du traité ainsi que le fondement juridique sur des décisions sur le bien-fondé prononcées au regard des pays qui ont ratifié le Protocole.
Il est évident que relever ce défi a été extrêmement compliqué car les problèmes que l’Espagne rencontre actuellement concernant l’application de la Charte sont similaires à ceux des autres États, mais il s’en est ajouté d’autres plus spécifiques. Il s’agit, plus précisément, d’une série de difficultés qui tiennent, si l’on veut synthétiser, premièrement, à un déficit de connaissance de la Charte et des Protocoles qui entraîne une confusion entre le droit de l’Union européenne et la Charte, entre les différentes versions de la Charte au détriment de la Charte mais au profit du droit de l’Union et de la ConvEDH, entre les principes de la Partie I (principes) et les obligations (droits) de la Partie II de la Charte, ainsi qu’aux erreurs entre le manque de légitimation active et l’effet de la décision sur le bien-fondé face à la même situation (article ratifié).
Il faut également souligner un manque de connaissance de la jurisprudence du Comité par les praticiens du droit qui est dû au fait que les conclusions et les décisions sur le bien-fondé du Comité ne sont publiées qu’en anglais et français, au mépris du Comité quant à l’indépendance de ses membres, à une remise en cause de l’effet contraignant des conclusions et des décisions sur le bien-fondé ainsi qu’aux avis ou décisions (pas les arrêts, mot en espagnol Auto) du Tribunal Suprême espagnol que ne valorisent ni la Charte ni la jurisprudence du Comité[37].
Outre cela, il est possible d’observer l’existence d’un problème d’articulation correcte entre les différentes sources des normes. Ceci est susceptible d’entraîner une confusion entre le « contrôle de constitutionnalité » et le « contrôle de conventionalité », clé face aux arrêts du Tribunal Constitutionnel de 2014 et 2015 qui ont statué sur la « constitutionnalité » des réformes du marché du travail et des pensions[38]. Les votes dissidents sont très importants dans ces jurisprudences.
Les défenseurs de la Charte ainsi que les chercheurs ont tenté de faire face à ces déficits par un travail de diffusion dans tout le pays auprès des barreaux d’avocats, des juges, des syndicats, des ONGs, des associations, c’est-à-dire auprès de toute personne physique ou morale susceptible d’invoquer l’effet direct du traité. Ce travail de diffusion s’est développé dans trois directions : la diffusion de la Charte de 1961 en insistant d’abord sur son effet contraignant dans le cadre normatif espagnol, c’est-à-dire sur les 23 articles que l’Espagne a ratifiés puis sur la traduction et l’effet contraignant de la jurisprudence du Comité. Ont été également mis en exergue les concepts de base qu’il faut invoquer dans les demandes introduites devant les instances judiciaires comme la hiérarchie entre le droit international et le droit national (articles 1 Code civil et 9.3 Constitution). À cet égard, il a été nécessaire de rappeler la différence capitale entre les contrôles de conventionalité et de constitutionnalité[39]. Le premier peut être défini, de façon très simple, en faisant référence à la question, posée par L. Jimena Quesada, de savoir « si un organe de la juridiction ordinaire peut refuser d’appliquer une loi interne en vigueur (non constitutionnelle) au cas où celle-ci s’opposerait à un traité international, intégré régulièrement dans le cadre juridique interne (ou bien à l’interprétation réalisée par l’organe supérieur de contrôle reconnu par le traité) ». La réponse est assurément affirmative, car le contrôle de conventionalité offre la possibilité d’annuler une règle juridique interne si le contenu de celle-ci s’oppose à un traité international ou bien à l’interprétation de celui-ci donnée par son organe statutaire de contrôle, ceci en conformité les dispositions constitutionnelles mentionnées antérieurement[40].
Enfin, il a fallu insister sur l’absence de hiérarchie au sein du droit international, notamment entre le droit de l’Union européenne et le droit du Conseil de l’Europe qui intègre l’ordre juridique interne moyennant une technique législative différente mais celle-ci n’entraîne pas un effet contraignant différent. Les principes, règles et obligations de l’UE ne sont pas toujours en accord avec le système de valeurs, de principes et de droits de la CSE[41]. Récemment, un remarquable arrêt du Tribunal Constitutionnel, l’arrêt 140/2018 du 20 décembre 2018 a confirmé le point de vue des juridictions de première et de deuxième instance judiciaire au regard du contrôle de conventionalité[42]. L’un des magistrats auteur des votes dissidents en ce qui concerne les arrêts de constitutionnalité de 2014 et 2015[43], a été rapporteur de cet arrêt.
Cette analyse montre que le contrôle de conventionalité en matière de protection des droits sociaux est essentiel en Espagne puisqu’il permet de soutenir de manière ferme et incontestable que les juridictions de première et deuxième instances sont tenues de ne pas appliquer la loi non conforme à un traité. En d’autres termes, l’arrêt précise que le Tribunal Constitutionnel n’a pas le dernier mot par rapport aux garanties de droits, les instances inférieures peuvent « sélectionner le droit applicable ». La réalité montre à ce sujet « (…) une véritable guerre (…) » au lieu d’un « dialogue des juges » non seulement entre les organismes de contrôle européens mais aussi parmi les différentes instances judiciaires domestiques[44].
Partie III – L’avenir au niveau législatif et judiciaire
Au regard du pouvoir législatif, il est très souhaitable que le gouvernement respectera et mettra en œuvre les engagements qu’il a pris dans le cadre de l’accord de coalition. S’agissant des juridictions, l’analyse a démontré qu’elles sont déjà très favorables à la Charte, surtout depuis l’arrêt 140/2018 du Tribunal constitutionnel. Les juridictions de la deuxième instance ont aussi multiplié au cours de l’année 2019 les arrêts au titre du contrôle de conventionalité, y compris ceux concernant la Charte, et toutes aujourd’hui se réfèrent à l’arrêt du Tribunal Constitutionnel. Il s’agit, plus précisément, des arrêts suivants :
(a) Arrêt Tribunal Supérieur Justice Canaries/Las Palmas de la Grande Canarie du 12 mars 2019, arts. 8.3 et 16 Charte Sociale Européenne, protection juridique famille. Réduction (durée/nouvel aménagement) journée du travail ;
(b) Arrêt Tribunal Supérieur Justice Galice 26 avril 2019, Rec. 4258/2018, art. 4.4 Charte Sociale Européenne et la durée période d’essai ;
(c.) Arrêt Tribunal Supérieur Justice Canaries/Las Palmas de la Grande Canarie 2 juillet 2019, Rec. 369/2019, art. 3 Charte sociale européenne ;
(d.) Juge de l’ordre social nº 1 et nº 2 Palma de Majorque 26 juillet 2019 6 novembre 2019, arts. 8.3 et 16 Charte sociale européenne ;
(e) Arrêts Tribunal Supérieur Justice Canaries/Las Palmas de la Grande Canarie 27 août 2019, Rec. 533/2019 et 14 février 2020, Rec.1429/2019, arts. 8.3 et 16 Charte sociale européenne ;
(f) Arrêt Tribunal Supérieur Justice Catalogne 17 janvier 2020, Rec. 5532/2019, art. 3 Charte sociale européenne et le droit à la sécurité et à l’hygiène dans le travail face à un licenciement pour les absences répétées ou prolongées au travail suite à une maladie[45].
Il faut continuer à travailler et faire face aux trois déficits, sans oublier le déficit de formation sur la Charte sociale en matière de formation universitaire.
Enfin, les gouvernements doivent faire en sorte que toutes les mesures nécessaires soient prises pour que ces droits soient effectivement garantis au moment où le besoin de protection se fait le plus sentir[46]. Dans le cas contraire, les instances judiciaires peuvent laisser inappliquée la législation nationale espagnole qui porte atteinte aux droits sociaux des citoyens et travailleurs reconnus directement par la Charte sociale européenne.
Conclusion : respect, conventionalité et volonté
Il reste toujours nécessaire de rappeler et de demander aux États de respecter leurs engagements internationaux, l’effet direct des traités et de la jurisprudence contraignante de l’organisme de surveillance. Face à leur passivité ou au mépris dont les États font preuve à l’égard des engagements internationaux, ce sont les juges qui sont devenus les gardiens des droits sociaux. Aujourd’hui, l’Espagne peut faire figure d’exemple à ce sujet.
Il est fondamental de placer la Charte sociale européenne dans le panorama international et européen au centre de n’importe quelle initiative et de mettre l’accent sur la prise en compte de ce Traité comme la « Constitution sociale de l’Europe ». À ce sujet, le récent Avis du Secrétaire général du Conseil de l’Europe, sur le Socle européen des droits sociaux observe :
« (…) qu’il est nécessaire, que, dans le respect des compétences et du droit applicable de l’Union européenne, d’un côté, les dispositions de la Charte sociale européenne (révisée) soient formellement intégrées dans le Socle européen des droits sociaux en tant que référence commune des États pour la garantie de ces droits, (…) [et, d’un autre côté], la procédure de réclamations collectives soit reconnue par le Socle européen des droits sociaux pour la contribution qu’elle apporte à la réalisation effective des droits de la Charte, ainsi qu’au renforcement de démocraties inclusives et participatives ».
La refondation et la restauration de la démocratie en Europe doivent passer par l’acceptation du rôle significatif de ce traité et de son organisme de surveillance[47]. Les droits existent, leurs garanties aussi. En conséquence, la seule chose nécessaire pour appliquer la Charte et la jurisprudence du Comité est d’avoir la volonté de le faire[48].