Alors qu’en France, la tristement célèbre affaire Lambert s’achevait, non sans dissensus juridictionnel[1] et polémique doctrinale[2], en juillet 2019, quelques mois plus tard, le 26 février 2020, en Allemagne, la Cour constitutionnelle consacrait un « droit constitutionnellement garanti au suicide (assisté) »[3]. Si la première a plutôt révélé la complexité de l’encadrement juridique des procédures d’arrêt de traitement en France, la seconde a pu, au contraire, être lue comme une simplification (extrême) de l’encadrement juridique du suicide assisté en Allemagne[4]. Ces deux contentieux partagent néanmoins un point commun : celui de mettre en lumière les résistances qui persistent à une réelle libéralisation de l’encadrement juridique en la matière. Décisions juridictionnelles trop libérales pour les uns[5], dispositifs législatifs trop peu protecteurs[6] pour les autres ; la question de la fin de vie ne cesse, en France comme en Allemagne, de faire l’objet de controverses.
En tout état de cause, ces affaires, comme bien d’autres, rappellent la complexité qui entoure, de manière générale, le traitement juridique de la vie humaine (et de sa fin) à mesure qu’évoluent les techniques médicales susceptibles de l’impacter (i. e. de la prolonger). Rappelons en effet que ce sont, paradoxalement, les progrès médicaux qui sont à l’origine des difficultés qui entourent aujourd’hui la réglementation de la fin de vie : car ce sont les progrès de la réanimation, de la nutrition, de l’hydratation et de la respiration artificielle qui ont permis à certains patients d’être maintenu en vie, dans un état de « vie végétative », sans que leur autonomie physique et/ou mentale puisse être préservée. De telles expériences ont alimenté la peur d’une fin de vie prolongée, sans qualité, parfois uniquement dépendante de machines, à l’origine des premières discussions sur l’encadrement médical et juridique de la fin de vie[7].
Mais depuis ces premières discussions, l’ampleur des réflexions relatives à la « fin de vie » n’a cessé d’augmenter de sorte qu’elles englobent aujourd’hui de nombreuses questions. Le terme de fin de vie comprend en effet plusieurs dimensions qu’il importe de bien distinguer les unes des autres tant, finalement, les interrogations (et les réponses juridiques apportées) divergent.
Deux types d’interrogations doivent être distinguées[8] : celles relatives à la possibilité de laisser mourir un patient dont l’état général de santé permet de considérer qu’il ne survivrait pas sans l’aide de techniques médicales ; en sommes celles relatives à l’arrêt de traitement et celles relatives à la possibilité de faire mourir un patient ; en somme celles relatives au suicide assisté, parfois « euthanasie ». Le terme « euthanasie » ne sera toutefois pas retenu ici tant en raison de sa connotation négative[9] (en lien avec les pratiques eugéniques nazies euthanasiques) que de son absence de consécration en droit positif.
En matière d’arrêt de traitement, il importe de nouveau de distinguer entre les patients peuvent exprimer directement leur volonté, et ceux qui ne le peuvent pas. Le droit pour un patient capable (physiquement et juridiquement) d’exprimer sa volonté à refuser un traitement, fut-il vital, est explicitement consacré par les droits français et allemand. Ainsi, l’article L1111-4 du Code de la santé publique français (CSP) dispose désormais[10]explicitement que « toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement ». Depuis cette consécration expresse d’un droit au refus de traitement, il n’est en principe dès lors plus possible pour le juge d’admettre la légalité de la continuation d’un traitement, fusse-t-il vital, alors même qu’un patient l’avait expressément refusé, notamment pour des raisons religieuses[11]. Dans de nombreuses décisions, le juge mentionne également le « droit de refuser un traitement »[12]. En Allemagne, le § 630d du Code civil allemand dispose quant à lui que « lors de la mise en œuvre d’un traitement médical, le médecin est obligation de recueillir le consentement du patient ». A contrario, il lui est impossible d’agir sans le consentement du patient, ce qui a fortiori autorise le patient à décider d’un arrêt, refus ou limitation de soin. En ce qui concerne le patient qui n’est plus capable d’exprimer sa volonté, si ce dernier a exprimé sa volonté par le biais de directives anticipées, l’article L1111-11 CSP dispose qu’elles s’imposent en principe au médecin[13]. Par ailleurs, en France, le Code de santé publique prévoit une procédure spécifique d’arrêt de soin dite pour « obstination déraisonnable » lorsque le patient est en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable[14]. En Allemagne, l’article 1901a alinéa 1 du Code civil allemand dispose quant à lui que « si une personne majeure inconsciente a préalablement précisé par écrit, pour le cas où elle deviendrait inconsciente, qu’elle consentait ou refusait pour l’avenir à des interventions médicales (directives anticipées), alors la personne de confiance doit vérifier que ces déclarations sont encore pertinentes au regard de la situation de vie et de soins de la personne. Si tel est le cas, la personne de confiance doit concrétiser l’expression et la validité de la volonté du patient »[15]. Il apparaît ainsi que le patient peut refuser, directement ou indirectement par le biais de directives anticipées, d’être maintenu en vie, du moins (en France) lorsqu’il est en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable.
En ce qui concerne le suicide assisté, le droit français l’interdit. Le Code de déontologie médicale, intégré à la partie réglementaire du Code de la santé publique énonce, en ce sens, que le médecin « n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort ». S’il peut, à certaines conditions, administrer au patient une « sédation profonde », l’article R4127-38 CSP est compris comme ne permettant pas au médecin de prescrire à son patient une dose létale de médicaments lui permettant de se donner la mort[16]. En Allemagne, l’encadrement juridique de l’assistance au suicide s’est, au contraire, considérablement clarifié ces dernières années. Si l’assistance directe au suicide (i. e l’administration d’une dose létale) reste a priori proscrite, l’assistance indirecte au suicide (i. e la prescription de ladite dose létale) apparaît désormais autorisée, du moins dans certains cas de figure. En premier lieu, la Cour fédérale administrative, dans un arrêt du 2 mars 2017 autorise la fourniture « d’un anesthésique afin de commettre un suicide lorsque la personne qui veut se suicider se trouve, en raison d’une maladie grave et incurable, dans une situation d’extrême détresse »[17]. En seconde lieu, dans deux arrêts du 3 juillet 2019[18], la Cour fédérale de justice procède à une inflexion importante[19] de sa jurisprudence[20] et confirme, au regard des circonstances de l’espèce[21], la relaxe de deux médecins qui avaient aidé leurs patientes à se suicider en leur prescrivant une dose létale de médicaments et en restant à leur côté jusqu’à la survenance de la mort. Dans les deux espèces en cause, le médicament avait non seulement été pris par les personnes voulant se donner la mort mais qui plus est, elles avaient expressément (et à plusieurs reprises) exprimé (y compris par écrit) leur volonté de mourir. La Cour fédérale considère que l’accord passé entre la patiente et le médecin met fin à l’obligation pour ce dernier de lui porter secours[22]. En troisième lieu, la Cour constitutionnelle allemande a consacré le 26 février 2020 un droit (constitutionnellement) garanti au suicide (assisté). La Cour devait en l’espèce se prononcer sur la validité du § 217 du Code pénal qui pénalisait, depuis une loi de 2015, « l’assistance commerciale » au suicide. L’objectif de cette disposition pénale était d’empêcher que les associations d’aide au suicide n’influence trop fortement la décision des patients de mettre fin à leur jour. De ce fait, l’infraction était largement définie : il était interdit de faire de l’aide au suicide répétée l’un des objets de son activité professionnelle[23]. Pour être pénalisé, il n’était ainsi pas nécessaire que l’acte soit réalisé dans le but d’obtenir un gain financier supplémentaire[24]. Cette définition interdisait, partant, des pratiques médicales répétées et impliquait la fermeture des organismes (même sans but lucratif) qui proposaient des « aides au suicide ». Quant au médecin qui portait à plusieurs reprises assistance au suicide d’un patient dans le cadre de son activité professionnelle, il était a priori susceptible d’être poursuivi sur le fondement du § 217 du Code pénal. La Cour considère ici qu’en pénalisant l’aide « commerciale » au suicide, le législateur empêche la libre détermination des circonstances de leur mort aux personnes souhaitant se suicider en leur ôtant de fait la possibilité de demander à un tiers de les aider[25]. Le législateur est invité, tant par la Cour constitutionnelle que par la doctrine, à se prononcer prochainement sur l’assistance au suicide. S’il n’a pas pour le moment édicté aucune loi sur le sujet, il apparaît relativement probable qu’une future loi en la matière tende, au regard de l’arrêt du 26 février 2020, à libéraliser cette pratique.
Le droit n’apporte ainsi pas les mêmes réponses, que ce soit en France et en Allemagne, aux différentes interrogations relatives à la fin de vie. Ce sont précisément ces différences (et en creux, les similitudes) qui méritent ici d’être analysées. En effet, ici comme ailleurs[26], une approche comparative du droit permet d’interroger les logiques qui travaillent certains dispositifs pour déconstruire ce qui est souvent, dans un ordre juridique donné, présentée comme une évidence, voire même comme une fatalité. Si souligner les points communs permet d’observer la manière dont certains paradigmes structurants le droit des libertés fondamentales (à l’instar de l’autonomie) irrigue, dans plusieurs pays européens, les questions bioéthiques ; pointer les différences entre les ordres juridiques permet de rappeler le caractère construit, contextuel et socialement situé de certains dispositifs juridiques, particulièrement lorsqu’ils encadrent un domaine aussi clivant que celui relatif à la fin de vie. Les droits français et allemand n’accordent en effet pas toujours le même poids à l’idée d’autodétermination individuelle. Dès lors qu’il s’agit ici de s’intéresser à la force contraignante que peut obtenir, en droit, la volonté, il importe de se concentrer sur l’encadrement juridique des demandes formulées par des personnes majeures et a fortiori capables (hors le cas de figure où c’est précisément leur état de santé qui rendraient incapables de formuler une volonté claire et précise). C’est en se concentrant sur le traitement différencié, en France et en Allemagne, des situations de fin de vie concernant des patients demandant à être aidé à mourir (I) par rapport à celles qui concernent, au contraire, la question d’un arrêt de leur traitement qu’il sera alors possible d’observer que l’encadrement de la fin de vie apparaît articulé, dans les deux pays, autour de paradigmes dissemblables, le poids accordé à l’autonomie décisionnelle du patient et celui accordé à la décision médicale n’occupant pas exactement la même place dans ces deux ordres juridiques (II).
Partie I – L’encadrement juridique du suicide assisté: le poids de la décision du patient en France et en Allemagne
Comme le montre le droit applicable en matière de suicide assisté, il existe des différences marquées entre les deux régimes, qui s’explique notamment par la centralité accordée en Allemagne, et non en France, au principe d’autodétermination (A). Cela étant, les incertitudes qui persistent en Allemagne en ce qui concerne la pleine libéralisation de suicide assisté, ainsi que celles qui existent en France en ce qui concerne la pleine pénalisation du suicide assisté, atténue quelque peu les différences qui peuvent exister en entre les deux ordres juridiques (B).
A. Des différences marquées dans les logiques structurant le suicide (médicalement) assisté
Alors que le droit français apparaît prima facie interdire le suicide assisté, le droit allemand tend à évoluer vers une libéralisation claire et explicite du suicide assisté au nom du principe d’autodétermination.
La décision de la Cour constitutionnelle sur le suicide assisté du 26 février 2020 fait découler de la Constitution, et plus exactement de son article 1 relatif à l’inaliénabilité de la dignité humaine, un « droit au suicide ». Elle interprète l’article 2 alinéa 1 en relation avec l’article 1 alinéa 1 de la loi fondamentale allemande – qui consacre un droit au libre épanouissement de sa personnalité – comme impliquant un « droit à une mort librement choisie »[27] : « Ce droit comprend la liberté de s’ôter la vie. La décision de chacun de mettre fin à sa vie, au regard de la manière dont il définit la qualité de vie et dont il comprend le sens de son existence doit être vue comme un acte d’autonomie qui doit être respecté par l’Etat et la société »[28]. Elle ajoute – et c’est l’un des points les plus controversés de la décision[29] – qu’il découle de cette liberté « la liberté de chercher, à ces fins, l’aide d’un tiers, et celle d’obtenir cette aide »[30]. Selon la Cour, il importe de partir de la conception « que l’homme peut s’épanouir et s’autodétermine en toute liberté, la protection de la dignité humaine comprend en particulier le respect de l’individualité personnelle de chacun, de son identité et de son intégré. Cette protection […] interdit de considérer l’homme comme un simple objet de l’action de l’Etat ou de l’exposer à une action qui remet en question ses qualités les plus subjectives. L’inaliénabilité de la dignité humaine suppose que celui-ci soit toujours reconnu comme une personne autonome »[31]. Sans entrer ici davantage dans l’analyse de la décision de la Cour constitutionnelle, il y apparaît très clairement que le principe d’auto-détermination structure désormais l’encadrement juridique du suicide assisté.
Mais, même avant cette retentissante décision, la logique des droits fondamentaux et plus particulièrement l’idée d’autodétermination irriguait déjà les décisions juridictionnelles relatives au suicide assisté, c’est-à-dire celles concernant des patients qui demandait l’aide active d’un tiers pour cesser de vivre. Dans les deux arrêts préalablement mentionnés du 5 juillet 2019, la Cour fédérale de justice confirme la relaxe des médecins en se fondant explicitement sur les droits fondamentaux de la personne qui souhaitait se suicider. Elle considère en effet que le médecin étant face à un dilemme entre d’un côté, l’obligation qui découle du Code pénal de porter secours à la patiente et, de l’autre, l’obligation qui découle de la Constitution, de respecter l’autodétermination de la patiente. Elle ajoute que face à un tel dilemme, le respect de la Loi fondamentale impose la primauté du respect de l’autonomie décisionnelle de la personne qui voulait se suicider. Par ailleurs, dans la décision du 2 mars 2017 de la Cour fédérale administrative, elle autorise la fourniture, en cas d’extrême détresse, d’une dose létale de médicaments car « découle des droits généraux de la personnalité consacrée par les articles 2 alinéa 2 et l’article 1 alinéa 1 de la Loi fondamentale le droit, pour une personne atteinte d’une malade grave et incurable, de décider comment et quand elle souhaite mettre fin à sa vie dès lors qu’elle peut forger seule sa volonté »[32].
La logique allemande apparaît ainsi, comme le souligne la Cour constitutionnelle allemande le 26 février 2020[33], proche de celle qui irrigue la jurisprudence de la CEDH qui, consacre elle-aussi, un « droit à décider de quelle manière et à quel moment sa vie doit prendre fin »[34]; ce qui distinguerait alors les droits français et allemand du droit français.
B. Des différences atténuées entre la France et l’Allemagne par les incertitudes entourant le suicide (médicalement) assisté
Même si la Cour constitutionnelle allemande se réfère explicitement à la jurisprudence européenne, notons tout d’abord que la CEDH n’a jamais explicitement consacré un droit au suicide assisté[35]. Quant à la concrétisation d’un tel droit en Allemagne, il importe de préciser que, même si la rhétorique qui prévaut dans les dernières décisions des juridictions suprêmes allemandes met en lumière une logique relativement différente de celle qui préside à l’encadrement juridique de la fin de vie en France, il reste entouré de nombreuses incertitudes. En effet, depuis l’invalidation par la Cour constitutionnelle, il n’est certes, a priori, désormais plus interdit aux différentes associations d’aide au suicide d’intervenir en Allemagne mais est-ce à considérer que les médecins peuvent également fournir une telle aide ? Si une réponse positive apparaît conforme à la logique suivie par la Cour constitutionnelle, la doctrine allemande est divisée sur la question[36] ; et seule une nouvelle loi permettrait de répondre clairement à cette question. En ce sens, notons que depuis la décision de la Cour, une cinquantaine de personnes ont demandé au ministère de la santé l’accès à des médicaments létaux ; demande qui leur a été refusée[37]. Par ailleurs, sur le plan strictement juridique, la conséquence principale de la décision est l’invalidation du § 217 du Code pénal (qui interdit l’assistance « commerciale » au suicide) : le suicide assisté redevient donc soumis au régime juridique antérieure à l’édiction du § 217. Or, avant la création (relativement récente : en 2015) de cette disposition, l’assistance au suicide n’était pas pleinement autorisée. Les dispositions déontologiques de nombreux Länder interdisent, en effet, aux médecins d’aider leur patient à se suicider[38]. Par ailleurs, si les récents arrêts de 2019 de la Cour fédérale de justice ont a priori supprimé les risques pénaux qui pesaient sur les médecins qui aidaient leur patient ayant expressément indiqué son souhait de se donner la mort, elle n’a pas par principe supprimé l’obligation pour les médecins de porter secours à une personne inconsciente[39], fût-ce en raison d’une tentative de suicide. Si les circonstances de l’espèce – la volonté des personnes s’étant donné la mort était on ne peut plus explicite et ne laissait planer aucun doute sur leur volonté de mourir -, ce qui justifie la relaxe des médecins, il n’est pour autant possible d’affirmer qu’elle s’appliquerait dans n’importe quel cas de suicide (médicalement) assisté[40].
A l’inverse, en France, si le suicide assisté apparaît interdit, il importe de préciser que, pénalement, l’assistance au suicide n’est pas sanctionnée : en l’absence d’infraction principale, la complicité ne saurait être pénalisée. Il est donc possible pour un tiers d’aider une personne à se donner la mort. Cependant, les dispositions pénales relatives à la non-assistance à danger peuvent servir de fondement pour poursuivre une personne qui aurait indirectement aidé un tiers à se suicider[41]. Dans l’affaire Jean Mercier, un octogénaire avait été poursuivi sur ce fondement pour avoir aidé sa femme à se suicider en lui apportant les médicaments létaux et un verre d’eau. Il avait été condamné par le tribunal correctionnel de Saint-Etienne à une peine d’un an d’emprisonnement avec sursis[42]. Il a toutefois été relaxé par la Cour d’appel de Lyon le 10 novembre 2016[43], relaxe confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 13 décembre 2017[44]. Cette relaxe a alors pu être lue comme autorisant, dans certains cas de figure, le suicide assisté[45]. En effet, dans la mesure où dans les faits, ceux et celles qui ont pu aider des tiers à se suicider ne sont pas condamnées pénalement, les dispositions textuelles considérées comme interdisant le suicide assisté apparaissent finalement restées lettre morte. Les dispositifs pénaux semblent dès lors peu effectifs pour interdire, dans tous les cas de figure, la pratique du suicide assisté.
Par ailleurs, l’article 221-1 du Code pénal dispose en effet que « le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre [qui] est puni de trente ans de réclusion criminelle ». Il est dès lors en principe interdit d’administrer une dose létale de médicament à une personne. Si le tiers est un médecin, ses obligations déontologiques lui interdisent, en outre, la prescription d’un tel médicament. Bien que le contentieux pénal n’apparaisse pas très dense en la matière, certaines affaires (très médiatisées) telles que celle de Vincent Humbert en 2006 se sont soldées par un non-lieu. La mère de la « victime » et son médecin, qui lui avait injecté une dose létale de médicament, n’ont pas été condamné, compte tenu des circonstances de l’espèce et notamment de l’incapacité physique pour le patient de se donner lui-même la mort[46].
En matière de suicide assisté, l’encadrement juridique français n’est dès lors pas dénué d’incertitudes. Le suicide (médicalement) assisté est a priori interdit par les dispositions déontologiques, ce qui empêche, partant, un encadrement éventuel de la pratique. Quant au suicide (non-médicalement) assisté, il n’apparaît pas clairement réglementé. Si les textes juridiques tendent plutôt à interdire au médecin d’aider son patient à se suicider (que ce soit directement ou indirectement), l’interprétation[47] faite par les juges de la non-assistance à danger ou l’homicide brouille quelque peu les frontières entre l’assistance légale au suicide et ses formes proscrites.
Malgré tout, une évolution marquée vers un droit au suicide apparaît en Allemagne ; droit qui comprend la possibilité de demander à un tiers une aide pour se suicider ; même si, bien sûr, ledit tiers n’a jamais l’obligation d’accepter[48]. L’affirmation d’un tel droit au nom de la dignité humaine dans un pays historiquement marqué par le nazisme et, par la suite, par la consécration de la protection de la vie comme la « valeur fondamentale suprême de l’ordre juridique »[49] indique qu’il est possible d’appréhender la protection de la vie humaine non pas seulement comme une protection relative à la seule vie « biologique » mais également comme une protection relative à la vie « bonne », c’est-à-dire comme prenant en considération la manière dont chaque individu définit sa propre qualité de vie. En ce sens, la Cour constitutionnelle conclut sa décision en affirmant « qu’en raison de la reconnaissance constitutionnelle d’un droit au suicide […] il est interdit de conditionner l’autorisation de l’aide au suicide à des critères matériels, comme l’existence d’une maladie grave et incurable (et/ou) en phase terminale [car la décision de se suicider ne peut dépendre que de motifs strictement personnels et [la qualité de vie] ne saurait être définie au regard de critère objectif]. Cela n’empêche pas qu’au regard des différentes situations, la preuve du sérieux (dans le temps) de la demande soit exigée ».
Mais au-delà de la question de l’assistance au suicide expressément demandée, là où des difficultés importantes persistent également, en France comme en Allemagne, c’est lorsqu’il convient d’appréhender la fin de vie d’un patient inconscient incapable de consentir expressément – au moment où elle est proposée – à la mesure envisagée. Si cela exclut bien sûr tout questionnement en matière de suicide assisté, cela n’épuise pas toutes les interrogations en matière d’arrêt de soin. Or, là encore, le droit allemand impose une recherche approfondie alors que le droit français n’a, quant à lui, pas toujours fait du critère de la volonté du patient une condition sine qua non de l’arrêt de traitement. Encore aujourd’hui, il existe, en France, des cas de figure dans lesquels l’équipe médicale peut décider, seule (ou presque), d’un arrêt de traitement. Quant au droit allemand, une étude approfondie du droit positif relève là encore certaines incertitudes.
Partie II – L’encadrement juridique de l’arrêt de traitement: le poids de la décision médicale en France et en Allemagne
En ce qui concerne l’arrêt de soin exigé expressément par le patient, il apparaît garanti par les droits français et allemand. Au regard du faible contentieux en la matière (notamment, en France depuis la réforme de 2016[50]) – il est possible de supposer que le droit au refus de soin d’un patient ayant pu clairement exprimer sa volonté, est, en pratique, respecté. En revanche, la situation est plus complexe lorsque l’arrêt de soin n’est pas expressément, verbalement et directement demandé par le patient. Dans un tel cas de figure, les droits français et allemand imposent, de manière à première vue similaire, au médecin de s’enquérir de la volonté du patient en examinant, si elles existent, les directives anticipées du patient ; celles-ci étant supposées primer même si elles n’apparaissent pas conformes à l’avis médical (A). Pourtant, en France, de manière visible, mais également en Allemagne, même si c’est de manière moins évidente, il apparaît également possible pour le médecin d’arrêter les traitements d’un patient considéré comme étant maintenu artificiellement en vie, même si sa volonté n’est pas clairement déterminée (B).
A. Des similitudes visibles entre la France et l’Allemagne dans le poids accordés aux directives anticipées
En Allemagne, là encore, la possibilité pour un individu de se laisser mourir est fondée sur le droit à l’autodétermination du patient qui découle de l’article 1 LF, la Cour fédérale de justice énonçant en 2003 que « le caractère contraignant des directives anticipées s’explique par le respect de la dignité humaine qui assure le respect du droit à l’autodétermination, même si le patient n’est plus en état de l’exercer »[51]. Plus encore, la loi comme le juge attachent beaucoup d’importance à la recherche de la volonté présumée du patient ; un ensemble d’éléments variés devant être prises en compte pour la reconstituer[52]. Le juge considère également qu’il n’est pas possible d’exclure l’application des directives anticipées en considérant que le patient « aurait changer d’avis s’il avait connu la situation actuelle. C’est au patient de porter la charge de son pouvoir décisionnelle. Dès lors qu’il explicite sa volonté en amont, il court [certes] le risque de ne pas pouvoir la modifier à temps »[53] mais c’est là la conséquence de son droit à l’autonomie décisionnelle.
Le Code civil allemand soumet, on l’a vu, le médecin au respect des directives anticipées du patient telles dès lors que la personne de confiance a considéré qu’elles reflétaient bien la volonté actuelle du patient.
En France, la réforme de 2005 a également posé le principe du caractère contraignant des directives anticipées. En ce sens, L1110-5-1 CSP indique que les soins résultant d’une obstination « ne peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, [que] conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté, à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire ». L’article R4127-37-2 CSP précise que « la décision de limitation ou d’arrêt de traitement respecte la volonté du patient antérieurement exprimée dans des directives anticipées ». Dans le même sens, les articles L1111-12 CSP et L1111-13 CSP au médecin de s’enquérir de la volonté du patient dans ses directives anticipées, ou par le recueil du témoignage de la personne de confiance ou, à défaut, de tout membre de la famille ou proche du patient. Ainsi, même dans le cadre de la procédure spécifique relative à l’obstination déraisonnable, l’équipe médicale doit désormais (depuis un arrêt du 24 juin 2014 du Conseil d’Etat « retranscrit » par la loi de 2016[54]) « prendre en compte la volonté du patient »[55] inconscient (et par hypothèse incapable d’exprimer sa volonté). En ce sens, le Conseil d’Etat précise depuis qu’« une attention particulière doit être accordée à la volonté que le patient peut avoir exprimée, par des directives anticipées ou sous une autre forme »[56]. Il ajoute que « dans l’hypothèse où cette volonté demeurerait inconnue, elle ne peut être présumée comme consistant en un refus du patient d’être maintenu en vie dans les conditions présentes. Le médecin doit, dans l’examen de la situation propre de son patient, être avant tout guidé par le souci de la plus grande bienfaisance à son égard, et, lorsque le patient est un enfant, faire de l’intérêt supérieur de celui-ci une considération primordiale »[57]. Dans un arrêt du 10 juillet 2020, la Cour administrative de Paris rappelle la jurisprudence du Conseil d’Etat indiquant le « droit de toute personne de recevoir les soins les plus appropriés ainsi que le droit que sa volonté de refuser un traitement et de ne pas subir un traitement médical qui traduirait une obstination déraisonnable soit respectée ». Elle rappelle qu’une telle procédure ne peut être mise en œuvre que « sous la double et stricte condition que la poursuite de ce traitement traduise une obstination déraisonnable et que soient respectées les garanties tenant, d’une part [à la procédure collégiale], et, d’autre part, au respect de la volonté du patient, telle qu’elle a pu trouver à s’exprimer, le cas échéant, dans les directives anticipées antérieurement rédigées »[58] ou « […] qu’après avoir consulté la personne de confiance, dans le cas où elle a été désignée par le patient, ou, à défaut, la famille ou les proches, afin, notamment, de s’enquérir de la volonté du patient et en s’efforçant de dégager une position consensuelle »[59].
Mais si à première vue, les droits français et allemand accordent à la volonté du patient inconscient une certaine force contraignante, il est également des similitudes dans la manière dont ils accordent au médecin une marge de manœuvre pour appréhender l’arrêt de soin de ses patients.
B. Des similitudes cachées entre la France et l’Allemagne dans le poids accordé à la décision médicale
En France, le Code de la santé publique précise que les directives anticipées d’un patient peuvent ne pas être appliquées « en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation et lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale »[60]. Juridiquement, il est donc possible pour le médecin de ne pas respecter la volonté clairement exprimée d’un patient. Si l’absence, à notre connaissance, de contentieux sur la non-application des directives anticipées d’un patient par l’équipe médicale suggère le respect effectif par le corps médical de ces directives ; le législateur lui accorde néanmoins la marge de manœuvre nécessaire pour vider, s’il l’estime nécessaire, de leur substances lesdites directives.
Par ailleurs, il est des cas de figure dans lesquels l’arrêt de traitement considérés comme constituant une obstination déraisonnable a été validé par le juge alors même que la volonté du patient était incertaine et que certains proches s’opposaient même à cet arrêt de traitement. L’exemple le plus paradigmatique de ce que la procédure spécifique d’arrêt de soins prévue par l’article 1110-5-1 CSP ne se structure pas fondamentalement autour de la volonté du patient est la célèbre affaire Lambert puisqu’en l’espèce les proches s’opposaient notamment sur ce qu’aurait pu vouloir le patient : alors que sa femme affirmait qu’il avait expressément indiqué ne jamais vouloir être maintenu dans un état de vie « végétative » (affirmation reprise par certains juges[61]), ses parents affirmaient que cela ne correspondaient pas à sa conception de la vie. En outre, de nombreux contentieux relatifs à la mise en œuvre de la procédure spécifique d’arrêt de soin pour obstination déraisonnable concernent des affaires dans lesquels le patient n’avait pas précisé, en amont, sa volonté. C’est alors au juge que revient la tâche de déterminer si les médecins ont correctement mis en œuvre ladite procédure d’arrêt de soin. Les décisions médicales d’arrêt de soins ne sont, dans de tels cas de figure, ni systématiquement remises en cause ni systématiquement approuvées. Pour déterminer la validité de la la procédure, le juge considère que les médecins doivent se fonder sur un ensemble d’éléments « médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité [et qu’] une attention particulière doit être accordée à la volonté que le patient peut avoir exprimée, par des directives anticipées ou sous une autre forme »[62]. Si la volonté fait, entre autres, partie des éléments à prendre en compte, le juge s’assure également de l’irréversibilité définitive de l’état du patient. Par exemple, dans un arrêt du 17 janvier 2019[63], le Conseil d’État ordonne la suspension de l’exécution de l’arrêt de soins, considérant qu’en l’espèce l’évolution de l’état de la patiente était telle que l’arrêt de soins n’apparaissait plus justifié. Mais il existe d’autres affaires, concernant des mineurs notamment, où le juge estime que, malgré le refus parental, l’arrêt de traitement était justifié[64]. Il en va notamment ainsi dans l’affaire de la jeune Ines Biddarri qui a fait l’objet d’un recours devant la CEDH. La Cour européenne a toutefois considéré que la procédure d’arrêt de soin ne portait pas atteinte à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme[65].
La procédure d’arrêt de soins pour obstination déraisonnable se fonde sur l’idée selon laquelle il est parfois préférable de laisser mourir un patient lorsque ce dernier n’est maintenu qu’artificiellement en vie – sans réactivité et sans qualité de vie aucune – par la seule intervention de la technique et que cette dernière peut, qui plus est, être source de souffrances[66]. Et c’est au médecin (contrôlé par le juge) que revient la tâche de qualifier le caractère artificiel du maintien en vie.
En Allemagne, il n’existe aucune procédure similaire à celle prévue en France par l’article 1110-5-1 CSP. Le contexte historique du pays explique sans difficulté qu’aucune procédure de ce type n’ait été explicitée consacrée. Cela s’explique également par une différence de contexte juridique. En Allemagne, les questions relatives à la fin de vie (au sens large) sont principalement appréhendées par le droit civil et le droit pénal, tous deux irrigués par la logique des droits fondamentaux. En Allemagne c’est ainsi pendant longtemps principalement la doctrine pénaliste et civiliste qui s’est saisi des problématiques en lien avec la fin de vie. Les questions sur la fin de vie s’articulent ainsi, en premier lieu, autour d’une réflexion relative au contrat médical. Le médecin est avant tout tenu de respecter le contrat qu’il a passé avec son patient ; contrat dont l’objet premier est la protection de la vie et de la santé dudit patient mais qui n’autorise le médecin à agir que dans les limites inhérentes à tout contrat : c’est-à-dire avec l’accord du patient. Dès lors, la question de l’arrêt de traitement est abordée de manière assez classique sur le plan civiliste : sans l’accord du patient, le médecin n’est pas contractuellement à agir. La centralité du contrat médical dans la réflexion sur la fin de vie peut fournir une explication de ce que, dès l’origine, les réflexions sur la fin de vie se soient structurées autour de la notion de volonté ; celle-ci étant précisément au cœur du contrat (classiquement défini comme un « accord de volonté » entre les partis). Si le patient est dans l’incapacité de procéder à une nouvelle « négociation » du contrat car il est inconscient, c’est là encore le droit commun civil qui s’applique : les mécanismes relatifs à la protection du majeur (ici « factuellement ») incapable interviennent pour s’assurer que les décisions médicales prises par rapport au patient respecte sa volonté. Les dispositions spéciales relatives aux directives anticipées ont ainsi été intégrées, en 2009, dans le chapitre du Code civil relative à la « tutelle et à la curatelle ». Si l’application du droit commun ne résout bien sûr pas toutes les difficultés susceptibles de se poser en matière d’arrêt de traitement, il importe malgré tout de souligner ici que, tout en étant travaillés par le principe constitutionnel d’autodétermination, les outils et solutions apportés ont été ceux du droit des majeurs protégés. En parallèle, le droit pénal intervient pour protéger la vie humaine. Le contentieux pénal relatif à l’articulation entre « respect de la volonté du patient qui souhaite mourir » et obligation de porter assistance à une personne à danger (ou interdiction de commettre un homicide par omission) apparaît ainsi plus important en Allemagne qu’en France[67]. Ce contentieux a régulièrement concerné, en Allemagne, des cas d’assistance médicalisée au suicide, ce qui est moins souvent le cas en France. Or, ce contentieux pénal allemand prend également en compte des éléments – pour identifier d’éventuels faits justificatifs aux infractions en cause – relatifs à la volonté de la « victime » : comme celui relatif à « la maîtrise consciente de ses actes » ou au « libre arbitre »[68]. En tout état de cause, le contentieux relatif à la fin de vie est principalement traité par les juridictions judiciaires[69].
En revanche, en France, c’est avant tout le droit médical qui réglemente la question de la fin de vie, principalement régie par le Code de santé publique. Bien sûr, toute relation médicale est, en France, fondée sur un contrat médical. Mais dans le domaine de la fin de vie, il est possible de considérer que la question contractuelle n’est pas au cœur de la problématique. Bien sûr, tout traitement médical ne peut être mis en œuvre qu’à la double condition qu’il soit justifié par une nécessité médicale et que le patient y ait consenti. Mais si en Allemagne le contentieux semble davantage se cristalliser autour des éventuelles sanctions pénales encourues par les médecins allemands qui laissent mourir un patient (ou qui les assistent activement dans leur décision de mourir) ainsi que sur les pouvoirs du tuteur du patient (i. e de son représentant légal) et de leur articulation avec les pouvoirs du médecin, le contentieux français est plus rarement pénal. Il se concentre bien davantage sur la procédure permettant l’arrêt de traitement d’un patient inconscient qui est considéré comme faisant l’objet d’une « obstination déraisonnable ». Or, il s’agit d’une procédure spécifique réglementée par le Code de la santé publique et ce type contentieux est administratif. Dans ce cadre, le contrôle du juge français – et européen[70] – est de type procédural : il s’assure principalement que les médecins ont bien respecté les procédures (notamment collégiales et de consultation des proches du patient) prévues par le Code de santé publique. S’il prend, dans ce cadre, en compte la volonté (connue ou présumée) du patient, ce n’est pas autour de la question du consentement en matière de contrat médical ou de la volonté du patient comme fait justificatif qui est au cœur du raisonnement juridictionnel. De la même manière qu’il n’existe que peu[71] de décisions qui s’articulent autour du respect, par le médecin, de son contrat avec le patient ou autour des pouvoirs (précis) du tuteur ou du représentant légal du patient. Au contraire, dans un arrêt du 8 décembre 2016, la Cour de cassation indique que « le tuteur ne saurait se substituer à la procédure définie par le Code de la santé publique qui relève de la collégialité des médecins chargés du suivi du patient »[72] La logique est bien plus « administrative » : une procédure médicale (collective) a été prévue pour que, dans certains cas de figure, le corps médical puisse, collectivement (et après consultation des proches[73]) cesser les traitements d’un patient (i. e le laisser mourir) artificiellement maintenu en vie. Le contentieux se concentre ainsi principalement devant les juridictions administratives et est dès lors analysé, non pas au regard des paradigmes structurant le droit commun des majeurs incapables (et de la désignation d’un tuteur ou d’un représentant légal) mais autour d’un droit spécialement applicable à la matière, précisé par le chapitre du Code de la Santé publique relatif aux droits des personnes malades et des usagers du système de santé.
Cela étant, si en Allemagne, la loi ne prévoit pas de procédure permettant un arrêt de traitements en cas d’obstination déraisonnable, cela ne signifie pas que le médecin ne dispose d’aucune marge de manœuvre. En effet, si tout indique que la déclaration (même non formalisée) du patient lie le médecin dès lors que cette déclaration entendait être contraignante, plusieurs difficultés complexifient toutefois la mise en œuvre systématique des directives anticipées. En premier lieu, le médecin doit avoir été informé de l’existence de directives anticipées et qu’il ait été appelé à les mettre en œuvre. En deuxième lieu, se pose la question de savoir si le patient entendait énoncer une volonté contraignante. Or, c’est à la personne de confiance et à l’équipe médicale de le déterminer[74]. En ce sens, le site officiel du gouvernement indique que dans l’hypothèse où il existe des directives anticipées, le médecin doit vérifier si elle corresponde à sa situation de vie actuelle et si elles sont manifestement appropriées à la situation médicale. Si c’est le cas, le médecin doit certes les respecter sous le contrôle de la personne de confiance. Mais, en troisième lieu, se pose précisément la question de l’intervention systématique (ou non) d’une personne de confiance (celle-ci pouvant être en Allemagne soit un tuteur désigné par le patient lui-même, soit un représentant légal désigné, si besoin, par le juge). En effet, le Code civil indique que les directives anticipées doivent être interprétées par la personne de confiance : « [si le patient a rédigé des directives anticipées] la personne de confiance examine si celles-ci correspondent à son actuelle situation et sont appropriées au traitement médical envisagé »[75]. Cela signifie-t-il que l’intervention d’une personne de confiance est systématique ? En principe, si les directives anticipées précisément absolument toutes les modalités d’intervention du corps médical (quel médecin doit intervenir, dans quel hôpital, dans quels cas de figure, pour quel traitement, etc.) ; la désignation d’une personne de confiance n’est pas nécessaire car la volonté du patient est claire. Mais dans les faits, les directives anticipées sont le plus souvent imprécises. La personne n’a pas nécessaire prévu dans les moindres détails l’état de santé dans lequel elle risquait de se trouver et, partant, les interrogations susceptibles de se poser. Si le médecin a des doutes sur la validité ou l’applicabilité des directives anticipées, il doit alors consulter le représentant légal du patient ou son tuteur ou demander au juge de nommer un représentant pour le patient (sauf en cas d’urgence vitale). En principe, si le patient a désigné – dans les formes – une personne de confiance[76]: elle a le pouvoir de prendre toutes les décisions médicales, y compris le maintien en vie ou non du patient[77]. Cependant, il existe des cas de figure dans lesquels la personne de confiance et le médecin sont en désaccords, que ce sur le caractère approprié des directives au regard de la situation de vie actuelle du patient ou du traitement envisagé. C’est alors au juge des tutelles que revient de trancher le différend entre les partis. Même en cas de directives anticipées, le juge des tutelles peut alors être amené à intervenir pour interpréter lesdites directives et déterminer ainsi, au vu des dires du représentant ou du tuteur et des affirmations du médecin, la volonté du patient. La seule volonté présumée du patient ne suffit dès lors pas à contraindre l’équipe médicale.
Par ailleurs, c’est à l’équipe médicale, seule, de déterminer le traitement approprié. Dès lors, si la suite des soins à donner au patient inconscient doit effectivement être discuté avec son représentant ou son tuteur, le médecin peut refuser la mise en œuvre d’un traitement qu’il estime inapproprié. Il est ainsi possible de poser l’hypothèse selon laquelle il peut refuser de maintenir le patient en vie s’il cela lui semble médicalement inapproprié (même si le représentant soutient que c’est le souhait du patient)[78]. Même si aucune procédure pour « obstination déraisonnable » n’est formalisée en Allemagne, il apparaît malgré tout possible pour un médecin de considérer que le patient est artificiellement maintenu en vie et de refuser, partant, de mettre en œuvre les mesures jugées « excessives » visant à le maintenir en vie.
Finalement, les droits français et allemand, bien que travaillé par des paradigmes historiquement (et encore aujourd’hui) différents, sont confrontés aux mêmes difficultés concrètes : celles de combiner d’un côté le respect de la dignité des personnes (ou des patients) en souffrance (ce qui peut supposer de ne pas les maintenir artificiellement en vie), des logiques inhérentes à l’organisation même des services de soin (qui empêche factuellement que ne soit maintenu ad vitam aeternam en vie tous les patients en état « pauci-relationnel » dont la volonté est inconnue) ; la protection de ces personnes contre des arrêts de soin trop hâtifs, et plus largement la protection de leur volonté (ce qui suppose de pouvoir la reconstituer lorsqu’elle est inconnue). Et c’est parce qu’ils sont confrontés à des difficultés similaires que leur encadrement juridique, en apparence très dissemblable, partagent finalement davantage de points communs qu’il n’aurait été possible de le penser.