Appel à communication
Diaz AnnaAPPEL À COMMUNICATION
Le patrimoine constitutionnel européen
I. Résumé
Le terme patrimoine constitutionnel européen est utilisé métaphoriquement pour désigner la création d’un espace juridique commun entre les États européens – des 27 États de l’Union européenne ou des 46 États du Conseil de l’Europe – qui prend chair et os à travers leur participation à des ensembles internationaux communs. Fondé sur un héritage constitutionnel commun, le patrimoine constitutionnel européen, qualifié souvent de « bric-à-brac »(1), montre l’existence d’une certaine homogénéité entre lesnormes en vigueur dans l’ancien continent et révèle, dans une perspective plus large, le succès indéniable du projet d’intégration européenne(2).
Bien que le terme patrimoine constitutionnel européen fût occasionnellement utilisé par la doctrine pour montrer le rapprochement sectoriel des États européens dans des domaines tels que la révision constitutionnelle(3) ou les pratiques référendaires, il n’a pas encore dévoilé tout son potentiel. Certains y voient une simple figure de style sans substance au service du droit constitutionnel comparé(4). D’autres estiment que c’est un concept bien réel qui, loin de ses vertus pédagogiques, sert à décrire de manière adéquate le rapprochement des pratiques constitutionnelles nationales, bien que la progression suive des rythmes différents en fonction des matières et objets constitutionnels. Indépendamment des convictions sur le sujet, le concept présente un intérêt juridique accru sous le prisme des crises existentielles que traverse l’Europe actuellement : l’exclusion de la Russie du Conseil de l’Europe, la dégénérescence des institutions démocratiques dans certains pays européens ou même la multiplication des revendications identitaires et communautaristes sont des exemples topiques qui montrent l’importance de mener une réflexion collective autour de son contenu.
L’objectif de ce colloque est donc double. D’une part, constater, à travers la diversité des expériences nationales, l’existence d’un certain nombre de principes communs d’organisation politique et de fonctionnement qui sont regroupés dans la notion de patrimoine constitutionnel européen. D’autre part, réfléchir sur les projections et les perspectives d’avenir à l’aune d’une Europe tiraillée par des crises successives et certains leaders politiques qui aspirent à réécrire le récit européen et créer un nouvel imaginaire collectif.
Direction scientifique
– Christos Giannopoulos, Maître de conférences à l’université de Strasbourg
Comité scientifique
– Linos-Alexandre Sicilianos, Doyen de la faculté de droit de l’université nationale et capodistrinne d’Athènes, ancien Président de la Cour européenne des droits de l’homme
– Peggy Ducoulombier, Professeur à l’université de Strasbourg
– Catherine Haguenau-Moizard, Professeur à l’université de Strasbourg
II. Aperçu général
L’idée de l’existence d’un patrimoine constitutionnel commun à l’ensemble du continent européen fait son apparition après l’effondrement de l’Union soviétique qui marque le début d’une période où les « idéaux occidentaux » sont répandus dans les pays de l’Europe centrale et orientale dans une quête pour la modernité, la prospérité et le changement(5). Étroitement associé aux mécanismes d’ingénierie constitutionnelle, le patrimoine constitutionnel commun entre les États européens prend forme par la circulation des notions et concepts, des institutions et des organes qui, ensemble, peuvent aboutir à configurer un socle de valeurs communes. Il s’appuie sur trois éléments qui remplissent un rôle fédérateur : la protection des droits fondamentaux, la prééminence du droit et la démocratie libérale.
En dehors d’un accord de principe entre les États, la diversité et la variété des systèmes et des institutions règnent en Europe ! Comme s’interroge à juste titre le professeur V. Constantinesco, « [le] ‘patrimoine constitutionnel européen’ ne se situe-t-il pas davantage par rapport à une commune référence aux droits de l’homme que par rapport à telle ou telle option de mécanique constitutionnelle ? »(6). Il suffit de lire les constitutions pour le constater : s’y mêlent des monarchies avec des républiques, des régimes de type parlementaire avec ceux de type présidentiel ou semi-présidentiel, tant de variations quant à l’organisation territoriale des États sans mentionner la grande variété des modalités de contrôle de la constitutionnalité des lois. Bien que cette profusion de mécaniques constitutionnelles puisse remettre en cause le « commun » et fragiliser toute tentative d’identifier le patrimoine constitutionnel européen, les États européens sont de plus en plus interdépendants les uns des autres : leur participation aux institutions européennes leur permet de partager entre eux notions, institutions et procédures qui participent à la configuration d’un « patrimoine constitutionnel commun ». C’est ainsi que l’article 1er, alinéa a du Statut du Conseil de l’Europe évoque expressément « les idéaux et les principes qui sont [le] patrimoine commun [des États européens] » ou même le préambule de la Convention européenne des droits de l’homme qui fait référence au « patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques » sans pour autant préciser ses éléments constitutifs. Dans une logique semblable, le TUE comporte des dispositions analogues – l’article 2 TUE faisant référence aux valeurs de l’Union européenne, l’article 6, paragraphe 3 TUE mentionne les « traditions constitutionnelles communes aux États membres », l’article 49 TUE prévoit les conditions d’adhésion d’un État à l’Union européenne – sans pour autant évoquer expressément un patrimoine commun européen.
III. Axes proposés à la réflexion
Quatre axes de réflexion sont proposés aux auteurs pour répondre à cet appel à communication :
1. Identification des composantes du patrimoine constitutionnel européen.
Le premier axe aspire à remplir trois objectifs : identifier les éléments constitutifs du patrimoine constitutionnel européen, illustrer par des exemples précis les matrices qui permettent de déduire le concept et, enfin, déterminer les valeurs et les conceptions qu’articule le patrimoine constitutionnel européen.
Les auteurs sont ainsi invités à s’interroger, entre autres, sur la pertinence du concept. Ils peuvent aussi mener une réflexion sur les « critères de convergence constitutionnels en Europe »(7) ainsi que sur les moyens pour les faire fructifier. Ce concept constitue-t-il un simple outil pédagogique au service de la doctrine ou détient-il d’autres fonctionnalités pratiques ? Le patrimoine constitutionnel européen constitue-t-il une méthode d’intégration ou une simple stylisation théorique ? De plus, quels sont les rapports qu’il entretient avec des termes voisins, tels que l’héritage constitutionnel commun – qui permet de désigner le paysage historique européen, la tradition constitutionnelle commune – qui figure dans l’article 6, paragraphe 3 du TUE, ou le patrimoine européen commun – qui est utilisé régulièrement pour décrire le processus d’intégration européenne ?
2. Détermination du rôle et de la responsabilité des institutions européennes dans la formation, le développement et la sauvegarde du patrimoine constitutionnel européen
Le deuxième axe est centré autour du rôle des institutions européennes dans la protection, la promotion et le développement du patrimoine constitutionnel européen. Outre le travail de codification effectuée par la Commission pour la démocratie par le droit, dite aussi Commission de Venise qui s’est lancée dès le début des années 1990 dans la défense du patrimoine constitutionnel européen(8), les autres institutions du Conseil de l’Europe ainsi que celles de l’Union européenne créent un réseau qui diffuse des expériences constitutionnelles concrètes. Le contrôle exercé par la Commission à l’égard d’États remettant en cause les « valeurs » de l’Union européenne offre un panorama actualisé de ce qui est considéré comme commun au sein de l’Union. L’éventuelle harmonisation des pratiques constitutionnelles nationales sera recherchée par le bas, au moyen d’un travail de droit comparé maisaussi par le haut, au moyen, notamment, de la création des standards communs qui s’appliqueront à l’échelle paneuropéenne.
Les auteurs peuvent aussi proposer des analyses sur l’adaptabilité du patrimoine constitutionnel européen aux changements politiques et sociaux qui interviennent sur le continent européen cette dernière décennie et qui divisent les États et leurs populations. Le recul de l’État de droit dans certains pays de l’Europe peut-il avoir un impact sur le « commun » ? Dans quelle mesure, les appels eurosceptiques ou europhobes en faveur d’un nouveau patriotisme constitutionnel qui rejette les idéaux européens rompent-ils avec le patrimoine constitutionnel européen ? En fin du compte, comment les acteurs européens peuvent-ils agir pour défendre le patrimoine constitutionnel européen ?
3. Rapports entre le patrimoine constitutionnel européen et la diversité constitutionnelle
L’identité du vocabulaire utilisé par les textes constitutionnels des États européens et les traités n’est pas le signe d’une uniformisation des pratiques nationales. Des variations et des écarts importants existent qui sont issues de la différence dans l’évolution politico-historique des États de l’Europe et des modalités de mise en œuvre de l’ordre constitutionnel(9). En effet, chaque pays a des caractéristiques spécifiques et particulières. Faisant partie de leur fierté nationale, ou potentiellement de leur identité constitutionnelle ou nationale, elles leur permettent d’occuper une place unique sur le continent européen et de se dissocier de leurs voisins. Bien qu’elles restent potentiellement conciliables, ces spécificités montrent que l’existence d’un socle minimum de valeurs et des règles communes doit toujours garantir « le respect des particularismes, qui ne s’applique pas sans restriction, pas plus que le principe de solidarité ou même les libertés publiques classiques »(10).
Les auteurs peuvent ainsi s’interroger sur les rapports entre le patrimoine constitutionnel européen et la diversité constitutionnelle. En quoi les spécificités nationales peuvent-elles aller de concert avec l’idée d’un patrimoine européen commun ? De même, la notion d’identités nationales, protégée par l’article 4 TUE et développée depuis longtemps par certaines juridictions constitutionnelles pour contester certains aspects de l’intégration européenne peut-elle freiner l’émergence des constantes d’un patrimoine constitutionnel européen ou contribue-t-elle à son développement ?
4. La vocation universelle du patrimoine constitutionnel européen
Le dernier axe s’inscrit dans une perspective comparatiste et s’intéresse au rayonnement du patrimoine constitutionnel européen sur des systèmes extra-européens. Les auteurs sont invités à réfléchir sur la possibilité d’exporter ce modèle et de le transposer dans d’autres contextes régionaux ou nationaux. Plus précisément, le patrimoine constitutionnel européen est-il universel, voire universalisable ? Les valeurs et les principes qui le composent sont-ils spécifiques et particuliers au continent européen ? Dansl’affirmatif, faut-il limiter la spécificité européenne à la contribution des organisations régionales qui veillent à ce que les trois piliers du projet européen – la démocratie libérale, l’État de droit et la protection des droits fondamentaux – soient protégés contre leurs détracteurs ? Dans une perspective plus globale, serait-il possible de faire la distinction entre le patrimoine européen et le patrimoine oriental, africain ou mondial ? Les analyses proposées pourront aussi être associées à l’épineuse question de l’universalité des droits de l’homme et celle de la remise en cause de la vision angélique qu’on se faisait jusque très récemment de la démocratie libérale triomphante.
IV. Modalités de soumission et de publication
Les chercheurs intéressés par ce projet de recherche sont invités à envoyer leur proposition de contribution à l’adresse suivante: europedeslibertes@hotmail.com. Les propositions doivent s’inscrire dans l’un des axes suggérés. Seront accueillies avec un intérêt particulier les contributions qui proposent une analyse comparatiste ou une approche transversale. Les contributions prendront la forme d’un résumé (max 15000 caractères, espaces comprises) rédigé en français ou en anglais, présentant le thème retenu, les objectifs poursuivis, une ébauche de plan et une bibliographie indicative. Toutes les propositions doivent être des travaux originaux et non publiés, qu’il s’agisse d’une publication en ligne, comme sur le SSRN, ou sur papier.
L’envoi de la proposition pourra, à titre facultatif, être accompagné d’une rapide présentation de leur auteur (max. 1000 caractères espaces compris).
Cet appel à communication sera complété par l’invitation de personnalités reconnues et d’acteurs institutionnels. Les actes du colloque sont destinés à être publiés avec le soutien de l’Europe des Droits & Libertés. Un bref délai sera accordé aux auteurs à l’issue du colloque pour apporter, si besoin, des modifications à leurs contributions afin d’intégrer des éléments nouveaux mis en lumière par d’autres présentations ou lors des débats.
V. Calendrier
Date limite d’envoi des propositions de contribution : au plus tard le lundi 28 novembre 2022
Réponse aux intervenants : la semaine du 9 janvier 2023
Dates du colloque : 4 et 5 mai 2023
Publication des contributions avec le soutien de l’Europe des Droits & Libertés: décembre 2023
(1) D. Rousseau, « La notion de patrimoine constitutionnel européen », in Commission européenne pour la démocratie par le droit (dir.), Le patrimoine constitutionnel européen, Ed. Conseil de l’Europe, Collection sciences et technique de la démocratie, n° 18, 1997, pp. 16-37, spéc. p. 17.
(2) Voir, entre autres, N. Rodean, « European Constitutional Heritage: the Protection of Human Right in the perspective of the EU membership to the ECHR », Annual International Conference on Law, Regulations & Public, 2013, p. 31.
(3) Voir, par exemple, D. Azébazé-Labarthe, « À la recherche d’un patrimoine constitutionnel européen de la révision constitutionnelle : la révision de la Constitution dans les Etats européens », RFDC, 2016/4, n° 108, pp. 769-806.
(4) Voir, entre autres, D. Rousseau, « La notion de patrimoine constitutionnel européen », in Droit et politique à la croisée des cultures, Mélanges en l’honneur de Philippe Ardant, Paris, LGDJ, 1999, p. 27.
(5) Voir, entre autres, D. Stark, B. László. Postsocialist Pathways. Transforming Politics and Property in East Central Europe, Cambridge University Press, 1998 ; G. De Vegottini, « Transitions constitutionnelles et consolidation de la démocratie dans les ordonnancements d’Europe centre-orientale », in Mélanges en l’honneur de S. Milacic, Démocratie et liberté : tension, dialogue, confrontation. Mélanges en l’honneur de S. Milacic, LGDJ, 2008, pp. 701-714 ; A. Veisegrady, « Major Lessons of the Central-Eastern European Democratic Transitions », Démocratie et liberté : tension, dialogue, confrontation. Mélanges en l’honneur de S. Milacic, LGDJ, 2008, pp. 1103-1120.
(6) V. Constantinesco, « A la recherche du ‘patrimoine constitutionnel européen’… (1) », B. Bertrand, F. Picod, S. Roland (dir.), Mélanges en l’honneur de Claude Blumann, L’identité du droit de l’Union européenne, Bruylant, 2015, pp. 90-107.
(7) D. Rousseau, « La notion de patrimoine constitutionnel européen », in Le patrimoine constitutionnel européen, précité, p. 16.
(8) G. Buquicchio, P. Garrone, « L’harmonisation du droit constitutionnel européen: la contribution de la Commission européenne pour la Démocratie par le droit », in Revue de droit Uniforme, 1998-2/3, Kluwer law international, pp. 323-327 ; C. Grabenwarter, « Standard-Setting in the Spirit of the European Constitutional Heritage », in Commission de Venise: Trente ans à la recherche de la démocratie par le droit (1990-2020), eddy.se AB, 2020, pp. 257-279.
(9) A. Zs. Varga, « Rule of Law and Constitutional Identities : Concurring or Complementary European Values ? », in Commission de Venise: Trente ans à la recherche de la démocratie par le droit (1990-2020), eddy.se AB, 2020, pp. 703-716.
(10) G. Buquicchio, P. Garrone, « Vers un espace constitutionnel commun ? Le rôle de la Commission de Venise », in B. Haller et al. (eds.), Law in Greater Europe, Kluwer Law International, 2002, pp. 3-21, spéc. p. 8.