Le 17 janvier 2022, le candidat à l’élection présidentielle Éric Zemmour est condamné en première instance pour provocation à la haine raciale après avoir tenu des propos, deux ans auparavant, qualifiant les mineurs isolés étrangers de voleurs, violeurs et assassins. Le polémiste a aussitôt dénoncé dans un communiqué « une condamnation idéologique (…) », « la condamnation d’un esprit libre par un système judiciaire envahi par les idéologues »[1]. Le flux de propos pernicieux déversé tous les jours à travers les déclarations de ce type est désormais continu et traverse à la fois les médias télévisés, la presse écrite, et les réseaux sociaux.
Dans ce contexte, le cadre juridique de la liberté d’expression interroge. Liberté fondamentale, la liberté d’expression est consacrée à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Sur la base de cet article et dès 1976, la Cour européenne des droits de l’Homme affirme, dans son célèbre arrêt Handyside c. Royaume-Uni[2], que la liberté d’expression est un des fondements essentiels d’une société démocratique et « une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun ». Cette liberté « vaut non seulement pour les ‘informations’ ou ‘idées’ accueillies en faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction quelconque de la population »[3].
Au niveau national, la liberté d’expression trouve un écho dans la liberté de la presse affirmée par la loi du 29 juillet 1881, progressivement complétée et qui prévoit également des limites. Si seules la diffamation et l’injure publique sont prévues par le texte originel de 1881, le délit de provocation à la haine, à la discrimination ou à la violence a été créé par une loi du 1er juillet 1972, dite loi Pléven, dont les dispositions ont été intégrées à la loi de 1881. Aujourd’hui prévu à l’alinéa 7 de l’article 24 de la loi de 1881, ce délit punit d’un an d’emprisonnement et/ou de 45 000 euros d’amende « ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». L’alinéa 8 de cet article étend le champ d’application du délit aux propos tenus à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap.
Ce délit suppose la réunion de plusieurs éléments constitutifs : le caractère public des propos (art. 23 de la loi de 1881), une provocation – élément constitutif dont l’interprétation a connu des évolutions[4] -, à la haine, à la discrimination ou à la violence qui se déduit du sens et de la portée des propos, à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes déterminé, et un caractère intentionnel qui se déduit de la teneur des propos et de leur contexte.
C’est donc au prisme de ces éléments matériels et intentionnels[5] que les juges du fond apprécient si les propos tenus en public entrent ou non dans le champ d’application du délit. Le temps du droit apparait alors très éloigné du temps médiatique : si une grande partie des propos tenus aux heures de grande antenne de certaines chaines au contenu fortement éditorialisé « heurtent, choquent ou inquiètent une fraction quelconque de la population »[6], elle n’en demeure pas moins légale. A l’heure où les déclarations visant les musulmans se multiplient, cet article s’intéresse spécifiquement à la jurisprudence relative au délit de provocation à la haine, à la discrimination ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur religion – en l’espèce la religion musulmane. Le curseur fixé par la juridiction judiciaire pour déterminer ce qui relève d’une provocation à la haine, à la discrimination ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur religion doit être interrogé.
Une recherche sur la base de données Légifrance à partir des mots-clefs « provocation à la haine, à la discrimination ou à la violence » et « musulmans » permet de dégager une vingtaine de décisions de la Chambre criminelle de la Cour de cassation portant directement sur cette question[7]. Ce corpus jurisprudentiel permet de dégager deux éléments constitutifs qui font particulièrement l’objet de l’appréciation des juges dans ce type de litige : la détermination objective d’un groupe de personnes et l’élément matériel de la « provocation » à la haine, à la discrimination ou à la violence à l’égard de ce groupe.
Si les critères permettant de constituer un groupe de personnes à raison de leur religion sont intelligibles et constants (Partie I), l’interprétation de l’élément matériel de l’infraction, la « provocation », a connu des évolutions jurisprudentielles successives. Sur la problématique spécifique de la provocation à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur religion, cette interprétation est mise à l’épreuve de la réalité médiatique : l’accroissement exponentiel des invectives et des propos publics tendancieux[8] (Partie II).
Partie I – Une jurisprudence constante et intelligible quant au groupe visé par les propos
Les décisions de la chambre criminelle de la Cour de cassation excluent du champ d’application du délit, de façon claire et constante, les propos véhéments à l’égard de la religion ou de ses prescriptions (A) et les propos ne visant qu’une partie du groupe visé (B).
A. Une distinction nette entre la critique de la religion et la provocation à la haine, à la discrimination ou à la violence à l’égard des personnes pratiquant cette religion
En France, le blasphème n’est pas interdit[9]. Dès lors, hormis les quelques décisions dans lesquelles la Cour de cassation admettait de dédommager les préjudices issus d’insultes de la religion sur le terrain de la responsabilité civile[10], les propos tenus en public peuvent critiquer, même de façon véhémente, toutes les religions. En vertu de l’article 24 alinéa 7 de la loi de 1881, seuls les propos qui provoquent à la haine, à la discrimination ou à la violence à l’égard des personnes pratiquant une religion (ou supposées l’être) sont condamnés. Cette distinction entre les propos tenus à l’égard des religions et les propos tenus à l’égard des (présumés) pratiquants est constante dans la jurisprudence. Pour déceler ce qui relève d’une critique de la religion des propos qui entrent dans le champ de l’article 24 alinéa 7 de la loi de 1881, les juges apprécient le sens et la portée des propos. Cette difficulté d’appréciation est variable et dépend des propos tenus.
Par exemple, un tract dénonçant l’action de financer un lieu de culte musulman[11] ne pose pas de difficultés particulières d’appréciation : les auteurs du tract « dénoncent cette action en ce qu’elle est, selon les auteurs du tract, favorable à l’islam pris en tant que religion dont les pratiquants ne sont pas visés en tant que tels »[12]. Comme le relevait la Cour d’appel, « ces considérations sont d’ordre politique (…) la critique porte sur la décision de financer un lieu de culte mais n’a pas pour objet de stigmatiser ceux qui pratiquent ce culte (…) ».
La critique d’une pratique religieuse, comme l’égorgement des animaux, doit également être distinguée des propos incitant à la haine, à la discrimination ou à la violence à l’égard des pratiquants. Les propos formulés à l’égard de pratiques religieuses sont couverts par la liberté d’expression tandis que les propos s’étendant aux pratiquants eux-mêmes entrent dans le champ de l’article 24 alinéa 7. C’est le cas lorsque l’autrice de critiques à l’égard de l’égorgement des animaux « étend son propos à des considérations beaucoup plus générales relatives à la présence musulmane en France qu’elle qualifie de « débordement », qui participe, selon elle, d’une nouvelle invasion, dont elle indique que « nous devons subir à nos corps défendants toutes les traditions » et qu’elle présente comme une menace (…) ». Par le biais d’une appréciation in concreto, se référant à l’ensemble des passages de ce texte pour rendre sa décision, la Cour d’appel en déduit que la défenderesse « appelle donc implicitement la population française à un nouveau combat » (…) et qu’ « à ce degré d’intensité, de dramatisation, d’extension, la critique, qui n’est plus seulement véhémente, revêt la portée d’un message, équivaut, de par son impact, à une exhortation claire et sans équivoque au rejet, à l’injonction de réagir, de s’opposer, suscite la haine (…) »[13].
Certains propos nécessitent un contrôle plus poussé. C’est notamment le cas de propos beaucoup plus longs et comportant des passages mêlant différentes problématiques : islam, pratiques religieuses, pratiquants. Le juge analyse alors les propos de façon distincte.
Un arrêt[14] rendu suite à des propos pamphlétaires publiés sur internet illustre bien la distinction entre la critique d’une religion et l’incitation à la haine, à la discrimination ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur religion. Deux séries de propos peuvent être évoquées. Dans la première série de propos, l’auteur fait un rêve dans lequel la liberté de pratiquer sa religion est interdite et la liberté de conscience protégée : une commission d’enquête parlementaire sur la comptabilité de l’islam et de la République prouve que l’islam n’est pas une simple religion mais un système politique d’essence totalitaire mettant en danger notamment la démocratie, l’égalité, la liberté d’expression. Les gouvernants ont donc voté une loi interdisant la pratique de l’islam sur notre sol, la vente du Coran et son enseignement, mais ont garanti « bien entendu », la liberté de croire en Dieu. En l’espèce, en dépit de « termes volontiers polémiques et assurément de nature à heurter la sensibilité des membres de la communauté musulmane », d’une « opinion sur l’islam extrêmement négative, considérant qu’il s’agit d’une confession dangereuse », les propos ont « pour objet principal la critique de l’islam en tant que religion ». La position de la Cour est claire : « la seule expression de jugements de valeur portés sur une religion, même très négatifs, ne saurait constituer une provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard des adeptes de cette religion, un tel délit supposant spécifiquement un acte positif d’incitation au rejet, non d’une religion, mais bien d’un groupe de personnes déterminé ; que, de même, lorsque le texte fait état, dans un futur imaginaire, du vote d’une loi interdisant la pratique de l’islam, tout en garantissant la liberté de croire, il faut constater que reste uniquement mise en cause la religion en tant que telle ; qu’au regard de ces éléments, le délit poursuivi n’est pas suffisamment établi s’agissant de ce premier passage ».
En revanche, dans la deuxième série de propos, l’auteur écrit : « Les musulmans, qu’ils soient Français ou pas, auront donc le choix. S’ils veulent rester en France, ils seront dans un pays où disparaîtra toute visibilité de l’islam, le voile, le kami, l’abattage rituel, les boucheries halal, les prénoms musulmans, les mosquées… Les nés-musulmans pourront alors librement abdiquer l’islam et devenir apostats ou pratiquer leur culte de façon totalement privée, chez eux, sans en faire état. Si cela ne leur convenait pas, ils auraient le droit de gagner un des 57 pays musulmans de la planète où règne la charia ». L’auteur développe une thèse relative à l’interdiction de l’islam dans un futur imaginaire, en précisant son propos de manière beaucoup plus détaillée sur le sort réservé aux musulmans. La Cour relève alors plusieurs éléments : tous les musulmans sont visés et sont appelés à ne plus pratiquer leur religion ou à partir. En l’espèce, la Cour d’appel juge que le délit de provocation à la discrimination raciale à l’égard de la communauté musulmane est établi. Les propos vise en effet directement un groupe de personnes à raison de leur religion : « les juges relèvent que le texte incriminé constitue une stigmatisation généralisée des musulmans, et non de certains d’entre eux, et ne peut être analysé comme la seule critique de la religion musulmane, dès lors qu’il impute aux musulmans diverses déviances les conduisant à des pratiques perverses et des comportements criminels, contraires à la dignité humaine, de nature à provoquer à leur égard un rejet violent et à favoriser à leur encontre les réactions les plus haineuses ».
À travers ces trois exemples – la critique d’un tract politique, la critique d’une pratique religieuse, un pamphlet sur l’interdiction de l’islam et le sort réservé à ses adeptes – la distinction entre islam et musulmans est claire, bien qu’elle requière un degré d’appréciation plus ou moins élevé en fonction du contenu des propos.
B. L’impossible qualification de « groupe de personnes à raison de leur religion » pour les propos ne visant qu’une partie du groupe
Pour entrer dans le cadre de l’infraction prévue par l’article 24 alinéa 7 de la loi de 1881, les propos doivent viser l’ensemble de la communauté et pas une partie de celle-ci. Cette position est constante. Ainsi, pour des propos se rapportant à la disparition fantasmée de la visibilité de l’islam (voile, abattage rituel, boucheries halal, prénoms musulmans, mosquées), les juges notent que « ces manifestations cultuelles ne concernent pas que les musulmans extrémistes mais l’ensemble de la communauté pratiquante »[15].
Dans le même sens, plusieurs arrêts se rapportent à des propos assimilant les musulmans à une menace, à des envahisseurs[16] : le groupe est constitué dès lors que les propos visent la totalité des musulmans. C’est le cas lorsque des critiques formulées à l’égard de l’égorgement des animaux sont accompagnées de ce type de propos. Dès 1999[17], les juges considèrent que des propos dépassant le cadre d’une critique légitime des conditions d’égorgement des animaux et présentant les Français « comme humiliés par le refus quotidien du ‘respect et de l’estime’ » sont incités à des réactions de rejet « de la population musulmane, visée dans son ensemble ». La communauté religieuse n’est alors pas présentée comme ayant un comportement critiquable dans une circonstance déterminée mais bien comme « menaçante de par sa présence même en France ». L’année suivante[18], des propos faisant suite à un paragraphe consacré à l’abattage rituel des moutons en France indiquent : « On égorge femmes, enfants, nos moines, nos fonctionnaires, nos touristes et nos moutons, on nous égorgera un jour et nous l’aurons bien mérité. La France musulmane avec une Marianne maghrébine pourquoi pas, au point où on en est » – ce qui évoque directement la menace vitale que ferait peser sur les Français l’ensemble de la communauté musulmane (on nous égorgera un jour) et les invite à réagir en sous entendant que par leur passivité « ils l’ont bien mérité », « de tels propos ne peuvent que provoquer une réaction de haine à l’égard de l’ensemble d’une communauté dont les membres sont présentés comme des envahisseurs et des égorgeurs et constituent le délit de provocation à la discrimination et à la haine raciale ».
Les propos litigieux plus récents ayant donné lieu à de la jurisprudence désignent également les musulmans comme violents, envahisseurs, néo-colonisateurs, des propos désormais mis sous la bannière du « grand remplacement »[19]. Ces affirmations ne relèvent pas de critiques contre certaines pratiques religieuses comme l’égorgement des animaux mais s’inscrivent – ou prétendent s’inscrire – dans un débat sur l’immigration.
Dans un arrêt rendu le 20 septembre 2016[20], la Cour de cassation confirme l’arrêt de la Cour d’appel et juge que les déclarations, au prétexte d’un débat légitime sur les conséquences de l’immigration et la place de l’islam en France, assimilaient tous les membres du groupe visé au grand banditisme et au crime organisé, et visaient donc « l’ensemble des immigrés de religion musulmane ».
Deux autres arrêts se rapportent à des allégations dont l’objet est similaire, c’est-à-dire qu’ils alertent sur un danger, mais ne concernent cette fois-ci qu’une partie, qu’un groupe de la communauté musulmane et non la totalité des musulmans. Un arrêt rendu le 14 mai 2002[21] montre la nécessité, pour le juge, d’analyser l’intégralité des propos pour se prononcer sur le groupe visé. D’un côté, un paragraphe vise les commerçants extra européens, « profiteurs prospérant grâce aux aides publiques qui leur sont distribuées au détriment des français de souche » – c’est donc bien un groupe de personne qui est visé par l’article. En revanche, le paragraphe suivant affine la pensée de l’auteur et « ne laisse pas de doute sur la nature du groupe visé par l’article ». Ce paragraphe concerne le groupe pris dans sa généralité, « composé d’une population de confession musulmane, constituant un danger pour les autochtones qui se retrouvent colonisés et martyrisés sur leur sol ».
En revanche, dans un arrêt rendu le 28 mars 2017[22], seuls les extrémistes sont visés par les propos litigieux : « Bien sûr, il y aura contestations, émeutes et même menaces terroristes. Le pouvoir y mettra fin grâce à sa détermination sans faille, et, s’il faut sacrifier quelques extrémistes pour redonner à 65 millions d’habitants paix et protection, il faudra faire savoir que l’armée, dépêchée à chaque menace, n’hésitera pas à tirer dans le tas. C’est terrible, mais il n’y aura pas d’autre solution pour calmer le jeu et imposer notre loi ». Les juges notent qu’ « il est indubitable que ce paragraphe préconise l’usage de la violence pour réprimer les manifestations attendues, ce qui peut apparaître particulièrement choquant ; que pour autant, le délit en cause suppose que soit visée la totalité de la communauté musulmane ; qu’or, ce passage fait référence aux ‘quelques extrémistes’, ce qui ne permet pas de considérer qu’est visée la totalité de la communauté musulmane », les propos ne peuvent donc être considérés comme constitutifs de l’infraction poursuivie.
À titre de comparaison, cette distinction entre les propos visant une partie d’un groupe ou la totalité de celui-ci est tout à fait semblable concernant la communauté juive. Ainsi, faut-il distinguer les juifs dans leur ensemble des nationaux israéliens religieux soutenant des mesures discriminatoires[23] de même qu’il faut distinguer les juifs du CRIF qui est « une institution à laquelle le peuple juif en son entier ne peut être assimilé » de même que la référence au sionisme qui « ne peut, à elle seule, viser la communauté juive dans son ensemble »[24]. En revanche, parler des juifs comme de « prédateurs migrants » ou du « pouvoir juif » qui souhaite une guerre civile destructrice vise l’ensemble des personnes d’origine juive[25]. Enfin, prêter à la communauté juive des visées suprémacistes destinées à permettre le remplacement physique des européens revient à susciter dans l’esprit des lecteurs l’existence d’un complot les vouant à la disparition et désigne la communauté juive[26]. Du reste, il est assez évident que le champ lexical mobilisé pour désigner ces groupes de personnes à raison de leur religion (juifs et musulmans) est assez similaire.
Désormais, la notion de « grand remplacement » est utilisée dans le débat public français aux heures de grande antenne, sans susciter d’émois particuliers. Ces propos, souvent tenus au prétexte de débats sur l’immigration et créant ainsi une confusion entre musulmans et étrangers, font aujourd’hui partie de la scène médiatique et politique. Ce phénomène, étudié et dénoncé par d’autres disciplines[27], met nécessairement la jurisprudence à l’épreuve.
Partie II – Une jurisprudence à l’épreuve d’une diffusion accrue des propos publics tendancieux
Si la provocation, élément matériel de l’infraction, a connu des revirements jurisprudentiels successifs, son interprétation est désormais stable : seuls les propos contenant une exhortation, une invitation à la haine, à la discrimination ou à la violence entrent dans le champ d’application de l’article 24 alinéa 7 de la loi de 1881. Cette position, conforme au principe d’interprétation stricte de la loi pénale, peut toutefois être discutée – la limite entre dénoncer une situation de fait (supposée) et inciter à la haine, à la discrimination ou à la violence étant souvent difficile à déceler (A). En outre, le temps du droit apparait bien éloigné de la réception du droit au sein de la société civile, dans laquelle le flux de propos provoquant une hostilité, un rejet à l’égard d’un groupe de personnes, entraine indéniablement des problèmes en termes de cohésion sociale (B).
A. L’interprétation désormais stricte de la « provocation » : l’impossible condamnation des propos conduisant à une hostilité envers un groupe de personnes à raison de leur religion
La provocation à la haine, à la discrimination ou à la violence doit être caractérisée pour constituer le délit. L’interprétation de cet élément matériel de l’infraction a connu plusieurs revirements jurisprudentiels[28] : la juridiction judiciaire est successivement passée d’une interprétation large de la « provocation », permettant ainsi de sanctionner les propos faisant naître un sentiment d’hostilité, de rejet ou de haine[29], à une interprétation stricte, permettant alors de ne sanctionner que les propos qui exhortent, invitent, même implicitement, à la haine, discrimination ou violence.
L’étude de la jurisprudence de la Cour de cassation relative au délit de provocation à la haine, à la discrimination ou à la violence à l’égard d’un groupe de personne à raison de leur religion permet de dégager, de façon schématique, deux types de propos tenus à l’égard des musulmans. D’une part, les propos leur imputant la violence : affirmer que les musulmans sont responsables du développement de la délinquance et de l’insécurité dans une commune[30] ou assimiler les immigrés de religion musulmane au grand banditisme et au crime organisé[31]. D’autre part, les propos assimilant les musulmans à des envahisseurs, la communauté musulmane étant alors présentée comme croissante et représentant une menace[32]. Ces propos, souvent tenus au prétexte d’un débat sur l’immigration, étaient considérés comme provoquant un sentiment d’hostilité à l’égard des musulmans et entraient, par ce biais, dans le champ de l’article 24 alinéa 7 de la loi de 1881. C’est donc l’interprétation large de la provocation, élément constitutif de l’infraction, qui permettait de caractériser l’infraction. Toutefois, la Cour de cassation alternait entre cette interprétation large et une interprétation plus stricte de la « provocation », créant selon plusieurs auteurs une insécurité juridique[33] qui faisait de la provocation un élément constitutif « insaisissable »[34]. L’interprétation large a finalement été abandonnée par la Cour de cassation en 2017[35], retenant depuis une interprétation stricte désormais pérenne.
L’arrêt rendu le 7 juin 2017, de par la différence de position de la Cour d’appel et de la Cour de cassation, est particulièrement éclairant pour rendre compte du champ d’application désormais plus restreint de l’article 24 alinéa 7.
En l’espèce, les juges du fond retiennent que l’expression « l’invasion qu’on cache » sur une couverture de magazine se rapporte non pas aux naturalisations massives en général mais aux naturalisations de personnes de confession musulmane « puisqu’il est fait précisément référence à ‘l’islam’, sans qu’aucune autre communauté provenant de l’immigration susceptible d’être naturalisée, ne soit visée, ainsi qu’au ‘poids des musulmans qui n’a cessé d’augmenter’ ». Les juges du fond rappellent ainsi que « s’il relève certes de la liberté d’opinion de critiquer la politique gouvernementale de naturalisation, en lui reprochant, notamment, d’être massive et de répondre à des visées électoralistes, présenter les personnes de confession musulmane naturalisées ou susceptibles de l’être comme des envahisseurs, et représentant un danger d’autant plus grand pour les citoyens que cette invasion est dissimulée, suscite nécessairement chez le lecteur (…) un sentiment d’hostilité et de rejet à l’égard de cette communauté ». Cette position s’inscrit dans une continuité jurisprudentielle et reprend, peu ou prou, l’interprétation des éléments constitutifs du délit jusque là mobilisée par la juridiction judiciaire. La Cour de cassation rend une décision contraire et juge que « les propos litigieux, portant sur une question d’intérêt public relative à la politique gouvernementale de naturalisation, ne dépassaient pas les limites admissibles de la liberté d’expression et que, même si leur formulation peut légitimement heurter les personnes de confession musulmane, ils ne contiennent néanmoins pas d’appel ou d’exhortation à la discrimination, à la haine ou à la violence à leur égard ».
Ces propos, qui évoquent des considérations politiques relatives à l’immigration tout en créant une confusion entre musulmans et immigrés, se multiplient et ont donné lieu à plusieurs affaires. Les juges semblent distinguer, comme dans l’arrêt de 2017, d’un côté les propos qui dénoncent une prétendue invasion, et d’un autre côté des propos appelant à des réactions, exhortant à la haine, à la discrimination ou à la violence.
Ainsi, dans un arrêt rendu le 4 juin 2019[36], la Cour de cassation doit se prononcer sur un tweet concernant la mention du grand remplacement, processus qui consisterait selon l’auteur en un remplacement, en France, du peuplement européen par des personnes originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne. La Cour juge qu’il ne peut être tenu compte des paroles ultérieures selon lesquelles les élèves des écoles n’étaient plus en grande majorité « blancs comme auparavant », ce que son auteur déplore, mais la teneur des propos « reste floue et imprécise pour contenir le moindre appel, même implicite, à la discrimination, à la haine ou la violence ». Concernant le passage d’une interview où le prévenu affirme que le pourcentage d’enfants musulmans dans une classe est intolérable, non pas pour ces enfants eux-mêmes mais bien pour les autres, et s’inquiète des effets de l’immigration massive sur l’identité de la France, la Cour d’appel juge que « s’exprimant sur une question d’intérêt public relative à l’immigration, il n’use pas de termes violents ni n’invite le public à combattre, haïr ou discriminer de potentiels envahisseurs, de sorte que ces propos, dont la formulation peut légitimement choquer, n’ont pas, en l’absence d’appel ou d’exhortation, même implicite, excédé les limites admissibles de la liberté d’expression ». La Cour de cassation confirme et retient l’absence d’appel ou d’exhortation, même implicite, pour ces deux passages incriminés « dès lors que, s’ils déploraient ce qu’ils présentaient comme une situation de fait, ils n’invitaient à aucune réaction particulière, sous forme de discrimination ou de violence, ni ne stigmatisaient les personnes concernées dans des conditions visant à susciter la haine à leur égard ».
En revanche, lorsque les propos dénoncent une invasion et invitent, en outre – même implicitement[37] – à une réaction de la part des destinataires des propos, l’élément matériel de la provocation est caractérisé. Dans le cadre d’une interview indiquant que « nous vivons depuis trente ans une invasion, une colonisation, qui entraine une conflagration » et « Dans d’innombrables banlieues françaises où de nombreuses jeunes filles sont voilées, c’est également l’islam, c’est également du djihad, c’est également la lutte pour islamiser un territoire qui n’est pas, qui est normalement une terre non islamisée, une terre de mécréant. C’est la même chose, c’est de l’occupation de territoire », la Cour d’appel expose que ce passage décrit les musulmans comme des envahisseurs et des colonisateurs qui « nécessitent, au moins implicitement, une résistance des populations concernées » ce qui constitue un appel au rejet et à la discrimination des musulmans en tant que tels, « l’ensemble du discours du prévenu étant axé sur l’idée que tous ne peuvent, par vocation religieuse, même lorsqu’ils ne sont pas violents, qu’être adeptes du jihad, sans se désolidariser de ceux qui se livrent à la violence au nom de leur foi. ». Les juges ajoutent que le cinquième passage poursuivi, donnant aux musulmans « le choix entre l’islam et la France », est l’expression d’un rejet de cette communauté qui ne peut qu’appeler à l’exclusion de celle-ci en son entier. Le 17 septembre 2019, la Cour de cassation[38] juge que la Cour d’appel a exactement retenu que, par leur sens et leur portée, les propos incriminés, qui désignaient tous les musulmans se trouvant en France comme des envahisseurs et leur intimaient l’obligation de renoncer à leur religion ou de quitter le territoire de la République, contenaient un appel à la discrimination.
Dans le même ordre d’idées, un tract comportant les mots « islam assassin, islam dehors », contrairement à la Cour d’appel qui retient que ces 4 mots ne « permettent pas à eux seuls de considérer qu’ils viseraient l’ensemble des musulmans, plutôt que leur religion (…) », la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 16 mars 2021[3], juge qu’« en se déterminant ainsi, et alors qu’elle a relevé que les quatre mots poursuivis étaient présentés sur fond d’un dessin représentant du sang et un poignard ainsi qu’une mosquée évoquant la religion musulmane, et présentés par un texte qui associe par un procédé oratoire, « les islamistes » et « les prétendus musulmans modérés », en parlant d’ « attentat musulman », « de prétendus imams modérés qui continuent d’enseigner les versets de mort et de haine », des « impostures Islam-islamisme », en proposant d’ « opérer une remigration massive de tous ceux qui préfèrent la charia aux lois de la République », d’ « en terminer avec les illusions néfastes d’un prétendu Islam de France » et de « redonner du courage, de l’espoir à des peuples désespérés par l’invasion qu’on leur impose, l’islamisation qu’on leur fait subir et le Grand remplacement qu’on leur prépare », sans mieux rechercher si ces éléments extrinsèques n’étaient pas de nature à conférer aux propos poursuivis le caractère d’une exhortation à la haine ou à la violence, à l’encontre de la communauté des musulmans dans son ensemble, personnes définies par leur appartenance religieuse et présentées comme animées par un esprit de conquête, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et n’a pas justifié sa décision.
Il semble donc y avoir, dans la jurisprudence, une distinction entre les propos dénonçant une (supposée) situation de fait et les propos dénonçant une invasion qui nécessiterait une réaction, un agissement de la part des destinataires des propos. Cette distinction comporte néanmoins des difficultés diverses. D’une part, et comme le relève Damien Roets[30], la discrimination et la violence sont des comportements – pouvant donc être objectivement constatés lorsque la provocation est suivie d’effet – tandis que la haine, qui est un sentiment, est plus difficilement identifiable. D’autre part, le positionnement du curseur entre les propos créant un rejet, un sentiment d’hostilité à l’égard d’un groupe de personnes, et des propos provoquant à la haine, à la discrimination ou à la violence est particulièrement difficile à déceler. En effet, outre l’utilisation désormais banalisée de l’expression « grand remplacement » qu’il conviendrait pourtant d’interroger, dénoncer l’invasion ou un grand remplacement sans appeler à la haine, à la discrimination ou à la violence n’implique pas nécessairement une absence de réaction. Des tueries ont déjà eu lieu sur la base de ces théories, qu’il s’agisse de la tuerie de Christchurch ou, plus récemment, de Buffalo. Plus largement, les effets de tels propos sur la cohésion sociale sont indéniables. L’interprétation stricte de la provocation, bien que conforme à l’interprétation stricte de la loi pénale, n’est donc pas nécessairement adaptée à la réalité de la société. Le curseur ainsi fixé laisse libre cours à des théories et propos qui peuvent s’avérer dangereux. Enfin, et de façon complémentaire, d’autres critères que l’élément matériel de provocation pourraient davantage être pris en compte par la juridiction judiciaire : le statut de l’auteur des propos[41] et le canal de diffusion qui a indéniablement un impact sur l’audience des propos[42].
Il est à cet égard intéressant de noter qu’un pamphlet qui impute aux musulmans « diverses déviances les conduisant à des pratiques perverses et des comportements criminels (…) » exhortent à la haine contre les musulmans[43] et entrent donc dans le champ d’application du délit – en dépit du peu d’audience qu’un tel pamphlet suscite – tandis que l’interview précédemment évoquée, largement retweetée et évoquant la théorie dangereuse du grand remplacement, ne remplit pas le caractère de la provocation et n’entre pas dans le champ d’application du délit. Or il est indéniable que son impact, en termes d’audience, est bien plus important à l’échelle de la société.
En tout état de cause, ces critères échappent au justiciable qui ne maitrise pas nécessairement toutes ces nuances. La pénalisation de ce type de propos est en réalité insuffisante pour contrer les idéologies dangereuses.
B. Une interprétation stricte conforme au principe de légalité mais posant d’indéniables problèmes en termes de cohésion sociale
La provocation se définit littéralement comme le fait d’inciter, de pousser une personne à commettre une action[44]. En d’autres termes, la provocation peut être définie comme le « fait (intentionnel) de pousser autrui à commettre » une action ou encore comme un « fait (causal) d’avoir déterminé une personne à réagir »[45]. Dès lors, l’argument selon lequel l’interprétation stricte de la « provocation » par la juridiction judiciaire est plus conforme au principe de l’interprétation stricte de la loi pénale[46] est difficilement réfutable. En effet, créer chez l’auditeur ou le lecteur un sentiment d’hostilité ou de rejet d’un groupe de personnes en raison de leur religion ne peut être rattaché à la « provocation » ainsi définie que de façon très indirecte. Pour autant, le dispositif pénal n’est pas figé, les infractions prévues par la loi devant évoluer en même temps que la société. Sur le terrain de la loi pénale, il serait possible, par exemple, de condamner les propos publics suscitant un sentiment d’hostilité ou de rejet (l’équivalent de l’interprétation lato sensu de la provocation)[47].
Un tel durcissement du droit pénal en matière de liberté d’expression serait, du reste, conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (ci-après CourEDH). En effet, les propos dont il est question ne se limitent pas à « heurte [r], choque [r] ou inquiéte [r] l’État ou une fraction quelconque de la population »[48] mais suscitent un sentiment d’hostilité, de rejet de l’autre. Or, la pénalisation de tels propos, autrefois à travers l’interprétation lato sensu de la « provocation » prévue à l’article 24 alinéa 7 du Code pénal, avait déjà été déclarée conforme à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme (ci-après Conv. EDH) dans l’arrêt Soulas contre France[49]. En l’espèce, les requérants avaient publié un ouvrage intitulé « La colonisation de l’Europe » sous-titré « Discours vrai sur l’immigration et l’islam » et condamnés par les juridictions françaises pour délit de provocation à la haine et à la violence à l’égard des communautés musulmanes d’origine maghrébine et de l’Afrique sub-maghrébine. La CourEDH a conclu à la non-violation de l’article 10 de la Convention, jugeant que les propos renvoyaient une « image négative des communautés visées » (§41) et « avaient pour objet de provoquer chez les lecteurs un sentiment de rejet et d’antagonisme, accru par l’emprunt au langage militaire, à l’égard des communautés visées, désignées comme l’ennemi principal, et d’amener les lecteurs à partager la solution préconisée par l’auteur, celle d’une guerre de reconquête ethnique » (§43).
Si en l’espèce les propos litigieux étaient teintés d’un langage militaire, les arrêts Féret contre Belgique[50] et Le Pen contre France[51], rendus respectivement en 2009 et 2010, sont encore plus explicites puisque dénués de cette terminologie militaire. Dans le premier arrêt, la requête concerne des tracts distribués lors de la campagne électorale belge d’un député et président d’un parti politique d’extrême droite. Le message de ces tracts était de « s’opposer à l’islamisation de la Belgique », d’« interrompre la politique de pseudo-intégration », et de « renvoyer les chômeurs extra-européens » – ce qui rappelle, du reste, les nombreuses déclarations entendues lors de la campagne présidentielle française de 2022. La Cour a conclu à la non-violation de l’article 10 de la Convention, le discours du requérant risquant « inévitablement de susciter, particulièrement parmi le public le moins averti, des sentiments de mépris, de rejet, voire de haine à l’égard des étrangers » (§69). La condamnation du requérant était en outre justifiée pour protéger l’ordre public et les droits d’autrui, en l’espèce ceux de la communauté immigrée (§78).
Le second arrêt a trait aux propos tenus par le président, à l’époque, du parti politique français Front national dans un entretien au quotidien Le Monde dans lequel il affirmait notamment que « le jour où nous aurons non plus 5 millions, mais 25 millions de musulmans, ce seront eux qui commanderont ». Bien que les propos se soient inscrits dans le cadre d’un débat d’intérêt général relatif aux problèmes liés à l’installation et à l’intégration des immigrés dans les pays d’accueil, les États disposant donc d’une marge d’appréciation pour apprécier la nécessité des ingérences, la Cour déclare la requête de l’auteur des propos irrecevable : elle juge que les propos du requérant étaient susceptibles de donner « une image inquiétante de la communauté musulmane dans son ensemble, pouvant susciter un sentiment de rejet et d’hostilité ». Il opposait, d’une part, les Français et, d’autre part, une communauté dont l’appartenance religieuse était expressément mentionnée et dont la forte croissance était présentée comme une menace, déjà présente, pour la dignité et la sécurité des Français. Plus récemment, la CourEDH a également rejoint la position des juridictions françaises dans l’arrêt Sanchez contre France[52] en considérant que les propos assimilant les personnes de confession musulmane avec la délinquance et l’insécurité, tendent à susciter un fort sentiment de rejet et d’hostilité envers ce groupe.
Ainsi, la pénalisation de propos suscitant un sentiment d’hostilité ou de rejet à l’égard d’un groupe de personnes serait conforme à l’article 10 de la Conv. EDH, que cette pénalisation soit le fruit d’une interprétation lato sensu de la « provocation » par les juridictions ou, a fortiori, qu’elle soit directement prévue par la loi. Du reste, la jurisprudence de la CourEDH laisse, en matière de liberté d’expression, une large marge d’appréciation aux Etats – allant jusqu’à admettre la répression de certaines formes de blasphème[53]. En droit interne, il ne s’agirait en aucun cas de réprimer le blasphème mais d’adapter la législation à l’évolution des propos tenus en public et créant un sentiment de rejet et d’hostilité à l’égard de certains groupes de personnes.
La jurisprudence de la CourEDH, au-delà de la conformité du dispositif pénal français à l’article 10 de la Convention, rappelle le soubassement axiologique de la liberté d’expression. L’exercice de cette liberté est indétachable des valeurs qui sous-tendent la Convention. La liberté d’expression est notamment nécessaire pour garantir le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique[54]. Le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains est également rappelé par la Cour[55], une notion absente de la jurisprudence judiciaire et pourtant au cœur d’une société apaisée.
Néanmoins, aucun dispositif pénal ne serait efficace sans un véritable investissement dans l’éducation, un outil préventif de première importance. Le problème réside peut-être davantage dans le manque de mesures complémentaires efficaces, sur le terrain de la pédagogie et de la sensibilisation : l’analyse stricte du droit positif semble être anecdotique au regard de l’ampleur des discours de haine ; ampleur qui a conduit le Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les droits de l’Homme à créer la première Journée internationale de la lutte contre les discours de haine[56] en juin dernier.
La résurgence du problème de la haine de l’autre et le nécessaire travail de sensibilisation à ces questions sont également soulignés par les nombreux textes de droit souple des institutions européennes[57], qui rappellent la lourde histoire du continent européen et le caractère progressif des idéologies qui incitent à la haine puis à la violence envers des groupes de personnes déterminés[58]. Le Conseil de l’Europe et l’Union européenne se sont en effet construits « en réaction contre les crimes fascistes, qui, avant d’être perpétrés, étaient inscrits dans des discours idéologiques »[59].
Au niveau national, il serait donc pragmatique d’agir à deux niveaux : poursuivre l’évolution de la législation actuelle – des dispositions de lutte contre la haine en ligne ont par exemple été adoptées récemment[60] – et investir plus largement la sensibilisation à ces questions, la mise à distance des propos tenus aux heures de grandes antennes et sur les réseaux sociaux, un seuil minimal de connaissances étant primordial pour garantir l’exercice pacifié et commun des libertés fondamentales.