Procès équitable: perspectives régionales et internationales / Fair Trial: Regional and International Perspectives - Liber amicorum Linos-Alexandre Sicilianos, Anthemis, 2021, 772 p., ISBN: 978-2-8072-0704-2

| RECENSION |

Giannopoulos Christos

Le présent Liber Amicorum, intitulé Procès équitable : perspectives régionales et internationale, d’un volume de 767 pages, édité par Robert Spano, Iulia Motoc, Branko Lubarda, Paulo Pinto de Albuquerque et Marialena Tsirli, rend hommage à l’exceptionnel parcours du président Linos-Alexandre Sicilianos au sein de la justice internationale en permettant au lecteur de découvrir la richesse de son œuvre juridique et académique à travers une série d’études approfondies. Elu par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe le 5 octobre 2010, Linos-Alexandre Sicilianos a servi la Cour européenne des droits de l’homme entre 2011 et 2020, d’abord comme juge, puis comme Président de Section et Vice-Président de la Cour. Le 1er avril 2019 il a été élu Président de la Cour, fonction qu’il a exercée jusqu’en mars 2021.

Le sujet sélectionné pour ce recueil est l’un des terrains de prédilection du Président Sicilianos, qu’il a contribué à développer. Sa position innovante, telle qu’exposée dans son opinion concordante sous l’arrêt Baka c. Hongrie, au sujet de la nécessité de reconnaître un droit subjectif et autonome aux juges eux-mêmes afin de renforcer leur indépendance n’en constitue qu’un exemple, entre plusieurs autres, de sa contribution indéniable aux débats sur le développement des droits de l’homme et sur l’avenir de la jurisprudence de la Cour EDH.

Loin de constituer exclusivement une célébration de l’excellent parcours du juge Linos-Alexandre Sicilianos, ce recueil d’essais propose au lecteur de suivre la trajectoire de l’évolution des exigences conventionnelles au sujet de la bonne administration de la justice, de la protection juridictionnelle effective des justiciables et, dans une perspective plus générale, de la sauvegarde du patrimoine constitutionnel européen. L’article 6§1 de la CEDH consacre le droit d’accès à un juge indépendant et impartial, et donc à un tribunal. Cette condition est le préambule du procès équitable, c’est-à-dire d’un procès public qui respecte une série de principes, tels que le contradictoire, l’égalité des armes, le principe de motivation et les droits de la défense. Il suffit pour le lecteur de survoler les intitulés des 52 études publiées dans ce recueil pour comprendre le rôle stratégique joué par la CourEDH pour renforcer le rôle de l’autorité judiciaire en droit interne, pour améliorer le fonctionnement des appareils judiciaires internes et pour amorcer une étape décisive et importante pour l’émancipation du judiciaire par rapport aux pouvoirs législatif et exécutif. En effet, la CouEDH a progressivement développé autour de l’article 6 un contentieux aussi riche que foisonnant en « formalisant à un moment crucial de notre histoire les faisceaux de ce procès équitable apparus auparavant, semble-t-il depuis le XVIe siècle » (J.-M. Sorel, Faut-il faire le procès du procès équitable ?, p. 573 et suiv.).

Plusieurs contributions démontrent comment l’article 6 a fonctionné en tant que bouclier protecteur des droits subjectifs des justiciables. Sans prétendre à l’exhaustivité, il est utile de mentionner, à titre d’illustration, la contribution du Jean-Paul Costa sur la notion de « tribunal établi par la loi » qui doit, selon l’auteur, être nettement dissociée de la notion du tribunal indépendant et celle du tribunal impartial (Qu’est-ce qu’un tribunal établi par la loi, p. 101 et suiv.) ; celle d’Afroditi Gkagkatsi sur l’interdépendance grandissante entre le « volet pénal » et le « volet civil » des garanties inscrites dans l’article 6.1 de la Convention (The Interplay Between the Civil and Criminal Limb of Article 6 of the Convention in the Court’s Case Law, p. 229 et suiv.) ; celle d’Angelika Nußberger au sujet de la responsabilité morale de la CourEDH pour renforcer le rayonnement de la jurisprudence relative à l’article 6 de la Convention en droit interne (‘Second-hand Justice’» and Rule of Law, p. 350 et suiv.) ; ou celle de Maria-Andriani Kostopoulou qui se sert de la Convention de Lazarote et de la Convention d’Istanbul pour démontrer l’importance accordée par la Cour EDH à la protection des enfants et des mineurs lors des procédures judiciaires nationales (Right to a Fair Trial in Cases Concerning Sexual Offences Against Children : How to Balance the Rights of the Defense and Those of Victims ?, p. 281 et suiv.).

Pour certains auteurs cependant les garanties offertes au titre de l’article 6 de la Convention, loin d’être d’une pureté absolue, sont encore perfectibles. La CourEDH pourrait développer davantage sa jurisprudence pour qu’elle puisse jouer le rôle qui lui est attribué par le texte. Dans sa contribution, intitulé « ‘Children of a Lesser God’ : Migrants and Refugees under the European Convention on Human Rights » (p. 427 et suiv.), Paulo Pinto De Albuquerque met l’accent sur la nécessité d’actualiser la jurisprudence de la Cour EDH afin de protéger les migrants contre des politiques nationales qui favorisent les impératifs liés à la sécurité au détriment de la protection des droits de l’homme. Dans la même logique, Niki Aloupi développe les limites de l’applicabilité indirecte ou par imprégnation de l’article 6 aux procédures juridictionnelles nationales de demande d’asile (Quel ‘procès équitable’ pour les demandeurs d’asile ?, p. 41 et suiv.) ; alors que Patrick Wachsmann plaide pour un élargissement du champ d’application de l’article 6 au « contentieux portant sur les aspects les plus caractéristiques de l’exercice de la puissance publique » en conditionnant l’existence d’une société démocratique, fondée sur le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture, à la garantie complète du droit à un procès équitable (Le droit à un procès équitable, élément indispensable de la société démocratique, p. 723 et suiv.).

La CourEDH elle-même n’est pas épargnée de cette nécessité de rafraîchissement. Certains auteurs associés à cet ouvrage collectif estiment que sa propre pratique judiciaire mériterait d’être perfectionnée afin d’éviter les doubles standards. Tel est, par exemple, la vision de Pere Pastor Vilanova qui souligne que les exigences du procès équitable devant la Cour EDH sont moins strictes que celles visant les autorités nationales (Le juge européen est-il tenu par les règles du procès équitable ?, p. 391 et suiv.). Dans le même esprit, Georges Ravarani souligne également les défaillances procédurales au niveau de la Cour EDH en identifiant leurs causes à des contraintes pratiques (The Fairness of Proceedings Before the European Court of Human Rights, p. 453 et suiv.).

En dehors des aménagements intra-institutionnels proposés, ce volume met en exergue le rayonnement de la jurisprudence de la CourEDH au-delà du système européen de protection des droits de l’homme. Les garanties prévues par l’article 6 n’ont pas été sans incidence sur l’office de la Cour de justice de l’Union européenne. Au contraire, elles ont constitué une épée qui a servi récemment pour lutter contre le recul de l’état du droit dans certains États de l’Union européenne. Sur ce point, Denys Simon souligne que « la consécration de l’unité des fondements du droit à un ‘procès équitable’ résulte davantage d’un saut qualitatif plus récent, qui a érigé la protection juridictionnelle effective en composante déterminante de l’Etat du droit » (Procès équitable et « Etat de droit » : du standard à la norme dans la jurisprudence récente de la Cour de justice de l’Union européenne, p. 559 et suiv., spéc. p.  561), alors que Koen Lanaerts met l’accent sur la double dimension de l’indépendance des juges en droit de l’Union européenne (The Two Dimensions of Judicial Independence in the EU Legal Order, p. 333). La contribution de Michail Vilaras s’inscrit dans la même perspective. L’auteur examine le processus de sécurisation des « valeurs de l’Union européenne » inscrites dans l’article 2 TUE traités et la politique menée par la Cour de justice pour défendre l’indépendance de la justice et de l’Etat du droit dans les ordres juridiques nationaux en dressant un bilan plutôt positif de l’action menée par les institutions européennes (The Rule of Law Milestone : Upholding Judicial Indépendance in the Member States under Union Law, p. 709 et suiv.).

Last but not least, nous ne pouvons que nous réjouir du choix effectué de consacrer ce volume autour d’une question précise, celle du procès équitable, en offrant ainsi aux lecteurs de quoi alimenter leur réflexion sur une question d’actualité tout en permettant aux plus exigeants d’entre eux de voir l’invisible que les apparences ne peuvent pas toujours expliquer.
 
Bonne lecture !