Cet ouvrage est le bienvenu, non pas seulement en raison de la rareté des études exhaustives relative aux méthodes d’interprétation de la CJUE comme le souligne dans son excellente préface Fabrice Picod, mais aussi en raison de la personnalité de ses auteurs impliqués dans le travail quotidien de la Cour de justice puisque l’un d’entre eux en est le président et que l’autre y est référendaire.
L’étude porte sur tous les valets dans lesquels la Cour est appelée à statuer. Un premier chapitre porte sur les méthodes « classiques » d’interprétation (interprétation littérale, contextuelle et téléologique) pour, dans un deuxième chapitre, aborder la manière dont le droit de l’Union est interprété à l’aune du droit international et des traditions constitutionnelles communes aux États membres avant, dans un dernier chapitre traiter de l’interprétation de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ce dernier chapitre devrait tout particulièrement intéresser les lecteurs de cette revue puisqu’il constitue un remarquable synthèse de la façon dont la Cour de justice a appréhendé la Charte qu’il s’agisse de son champ d’application, des limitations aux droits fondamentaux ou des rapports entre la Charte et la Convention européenne des droits de l’homme ou entre le Charte et le droit constitutionnel nationalLe lecteur sera frappé par la manière dont les auteurs montrent l’ouverture de la Cour tant à la Convention, mais aussi à la diversité des systèmes nationaux. Alors que les critiques adressés à la Cour, notamment au niveau national, insistaient sur la nécessité que celle-ci reconnaissent le pluralisme comme en attestent les jurisprudences constitutionnelles allemande et italienne[1], les auteurs montrent combien, dans divers domaines de sa jurisprudence, la Cour porte une attention soutenue à la diversité au point de conclure l’ouvrage par un hommage au pluralisme constitutionnel qui permet d’établir, disent-ils, un espace constitutionnel commun où les idées circulent librement dans le cadre d’un dialogue constructif entre les juges (p. 169). De la même manière, les auteurs montrent combien le droit de l’Union doit être considéré comme un « droit vivant »[2] tout en insistant sur la manière dont, en cas d’absence de consensus entre les États membres, le droit doit être garanti en limitant les effets de l’arrêt (à propos du mariage entre personnes du même sexe (p. 100 et svtes).
Sur les méthodes d’interprétation, on appréciera à propos de l’interprétation littérale, les développements liés au multilinguisme dans l’Union européenne et à propos de l’interprétation contextuelle, l’analyse du recours croissant aux actes préparatoires lié à la transparence croissante du mécanisme décisionnel de l’Union. S’agissant de l’analyse téléologique, les auteurs s’attachent à démontrer combien les reproches d’activisme judiciaire liés à l’emploi de la méthode ne sont pas fondés.
L’ouvrage montre que l’usage de la méthode d’interprétation littérale constitue le point d’ancrage en raison de l’exigence de sécurité juridique et de protection des particuliers. Cependant, elle peut se heurter à la nature même des traités qui reposent sur des objectifs fonctionnels dont l’utilité est limitée dans le cadre d’une interprétation littérale. La méthode systématique permet de replacer le texte à interpréter dans le système d’ensemble et permet d’établir la cohérence entre le texte et le système. En raison même du caractère fonctionnel des traités, la Cour est amenée à en combler les lacunes en s’appuyant sur la méthode téléologique. Les objectifs définis dans les traités, les valeurs inspirées des traditions constitutionnelles communes constituent autant de guides dans l’interprétation du droit de l’Union. Les dispositions à interpréter, les mots utilisés, le contexte constituent autant d’éléments qui guident le choix de la méthode d’interprétation. Les développements de l’ouvrage s’appuient sur une abondante jurisprudence.
Au total, cet ouvrage, au-delà de son objet, repose sur une vision forte de la nature de l’Union et de l’indispensable prise en en compte aussi bien de ses valeurs que de du particularisme des États membres. À ce titre, il en appelle à la réflexion de ses lecteurs et doit orner toutes les bibliothèques de ceux qui enseignent ou pratiquent le droit de l’Union.