Comme le rappelle la Charte Olympique, « la pratique du sport est un droit de l’homme. Chaque individu doit avoir la possibilité de pratiquer du sport sans discrimination d’aucune sorte et dans l’esprit olympique, qui exige la compréhension mutuelle, l’esprit d’amitié, de solidarité et de fair-play ». C’est un lieu commun que de rappeler qu’il unit au-delà des différences culturelles et de renforcer les valeurs de diversité, d’égalité et de respect de l’autre et garantit l’inclusion sociale, le développement du bien-être et la protection de la santé. Mais alors que le sport est considéré comme permettant d’améliorer les relations au sein de la société, il peut être aussi la cause ou la source de violations des droits de l’Homme.
Il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau, car, dès l‘essor des compétitions internationales, l’idéal olympique a très vite été confronté au problème des manipulations politiques. Le sport a été instrumentalisé à des fins politiques pour permettre à des régimes autoritaires de s’affirmer sur la scène internationale pour blanchir leur bilan désastreux en matière de droits humains. Les jeux olympiques de Berlin de 1936 avaient servi de propagande pour le régime nazi et la RDA avait utilisé sa réussite sportive pour renforcer sa visibilité internationale, en risquant la santé de ses athlètes qu’elle dopait systématiquement et le plus souvent à leur insu. Aujourd’hui la pratique du « sportwashing » (littéralement « blanchiment par le sport ») est devenue monnaie courante et a encore été utilisée récemment par la Russie, dont les fraudes à grande échelle en matière de dopage ont fini par être révélées, ou encore par la Chine. La polémique s’est amplifiée à l’occasion de l’attribution contestée de la Coupe du monde de football au Qatar qui en a profité pour redorer son image de marque, renforcer sa reconnaissance internationale et s’affirmer vis-à-vis de ses pairs du Golfe, au détriment notamment des droits humains des travailleurs migrants chargés de construire les infrastructures sportives et de la lutte contre le réchauffement climatique.
Outre le sportwashing, l’image du sport professionnel est ternie par le développement du dopage chez les athlètes, les affaires de corruption, le trucage des appels d’offres pour les grandes manifestations sportives, les paris illégaux et l’exploitation des êtres humains ou le trafic de jeunes athlètes. La violence s’est emparée des stades et met en jeu la sécurité des supporters des équipes qui sont négativement touchés par des mesures restrictives de leurs droits pour assurer leur sécurité. Enfin, les enjeux économiques colossaux engendrés par le sport entrent souvent en conflit avec les engagements en matière de droits de l’homme, moral ou écologique.
La responsabilité des organisations sportives est souvent mise en cause car il leur revient, au nom de l’autonomie qui leur est reconnue en raison de la spécificité des activités sportives et de leur statut d’organisme privé, de déterminer leur organisation, notamment les règles encadrant les compétitions sportives et la promotion de leurs sports respectifs. L’intervention de l’État n’est pas jugée opportune car les règles sportives répondent à une rationalité spécifique que seules les organisations sportives maitrisent[1]. Néanmoins, elles doivent comme toute organisation privée agir dans le respect des réglementations nationales ou internationales et encourent des sanctions en cas de non-respect de celles-ci, ce qui les oblige à respecter les droits de l’homme dans le cadre de leurs activités ou leurs relations commerciales et à réprimer les violations qui en résultent.
Le Conseil de l’Europe a été la première organisation européenne à s’intéresser au secteur sportif et à promouvoir un cadre européen et mondial commun pour le développement du sport fondé sur les valeurs qu’il défend, à savoir la démocratie pluraliste, la prééminence du droit, les droits de l’homme et l’éthique sportive. Il s’est dès les années 1970 donné pour mission de soutenir et conseiller les États de la grande Europe et les organisations sportives afin de « constituer une plateforme pour le développement, le suivi et la mise en œuvre de normes et de politiques pour un sport sûr, éthique et inclusif ». Pour satisfaire cette priorité, de très nombreuses recommandations sont adoptées par le Comité des ministres dont la Charte du sport pour tous de 1975 qui deviendra en 1992 la Charte européenne du sport[2] ou encore le Code éthique sportif[3] qui constituent les instruments de référence de l’Organisation dans le domaine du sport. Il se préoccupe également de phénomènes comme le dopage ou la violence des spectateurs dans le cadre des manifestations sportives ou des manipulations sportives, ce qui aboutira à quatre importantes conventions. Pour l’assister dans cette mission, le Conseil de l’Europe s’appuie sur l’action coordonnée de deux entités motrices, à savoir l’Accord Partiel Élargi sur le Sport (APES) établi en 2010 considéré comme un forum sans égal de coopération intergouvernementale et de dialogue entre les autorités publiques, les fédérations sportives et les ONG, et le secteur des Conventions dans le domaine du sport, réunies désormais au sein d’une seule entité, la Division Sport[4]. Il agit également en coopération étroite avec d’autres organisations internationales telles que l’ONU[5] et l’Union européenne ainsi qu’avec les fédérations internationales les plus importantes[6].
Le Conseil de l’Europe n’a toutefois plus l’exclusivité en matière sportive car l’Union européenne est devenue avec le temps un acteur important de l’organisation du sport dans chacun de ses États membres. Faute de base juridique suffisante dans les traités pour élaborer une politique communautaire sportive, il est initialement revenu à la jurisprudence de la Cour de justice de la préciser. Elle a abordé la question du sport sous l’angle de la libre circulation des travailleurs, de la libre prestation de service et du droit de la concurrence, protégeant ainsi la liberté et les droits des sportifs face aux clubs et fédérations sportives. Avec le Traité de Lisbonne, l‘Union s’est vue dotée d’une base juridique spécifique lui permettant de mener des actions destinées à appuyer, coordonner ou compléter l’action des États membres dans le domaine du sport. Il ne s’agit toutefois que d’une simple compétence d’appui qui ne l’autorise pas à harmoniser les dispositions règlementaires et législatives des États membres ou à adopter des actes juridiques tels que des règlements ou directives. La responsabilité du sport demeure entre les mains des États membres et des organisations sportives nationales conformément au principe de subsidiarité[7]. L’intégration du sport dans les politiques européennes s’exprime ainsi dans l’article 165, paragraphe 2, TFUE selon lequel l’Union contribue à la promotion des enjeux sportifs européens, tout en tenant compte de la spécificité du sport, de ses structures fondées sur le volontariat et de sa fonction sociale et éducative, autant de spécificités qui constituent ce que l’on a pu appeler le « modèle sportif européen »[8].
Les deux organisations européennes œuvrent aujourd’hui de manière conjuguée, chacune dans leur domaine de compétence, pour encourager et faciliter la coopération entre les États et les fédérations sportives afin de clarifier la réglementation applicable aux activités sportives professionnelles et contribuer à l’élaboration d’un modèle sportif européen fondé sur l’équité et l’ouverture dans les compétitions sportives et la coopération entre les organismes responsables du sport, tout en protégeant les droits et libertés des sportifs et en tenant compte de la nature spécifique du sport. S’agissant plus particulièrement du sport professionnel, elles ont axé leurs priorités autour de la nécessité d’encadrer les manifestations sportives, tant pour protéger le droit des supporteurs à la sécurité dans les stades que pour préserver l’intégrité des compétitions sportives contre la tricherie et les risques de manipulations financières (Partie I). Elles ont aussi garanti les droits des sportifs eux même contre d’éventuelles violations de leurs droits par les organisations sportives. Certaines de ces violations ont été portées devant la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice qui ont ainsi eu l’occasion de réagir et de contribuer à l’élaboration d’une jurisprudence venant au soutien de la politique des organisations européennes (Partie II).
Partie I – L’encadrement des activités sportives
Les deux organisations européennes ont voulu encadrer les manifestations sportives de manière à préserver leur intégrité. Chacune a entendu faciliter au vu de leurs compétences tant la coordination nationale entre les États et les fédérations sportives que la coopération internationale face aux manifestations de violence dans les stades et aux manipulations de compétitions sportives.
A. La lutte contre la violence dans les stades et le droit à la sécurité des supporters
La catastrophe du stade du Heysel, en mai 1985, au cours de laquelle trente-neuf supporteurs ont péri à la suite d’exactions commises par les hooligans anglais, a ébranlé l’Europe et a révélé la nécessité de prendre d’urgence des mesures pour lutter contre la violence lors des manifestations sportives et pour garantir la sécurité des supporteurs ainsi que leur liberté à assister à des compétitions sportives. L’élaboration de la Convention européenne sur la violence et les débordements des spectateurs lors de manifestations sportives, et notamment de matches de football, a constitué la réponse du Conseil de l’Europe à ce besoin. L’Union a quant à elle adopté diverses mesures en matière de coopération policière et d’échange d’information policières pour identifier les fauteurs de trouble. La mise en œuvre progressive de cette convention, conjuguée aux initiatives prises au sein de l’Union européenne à partir des années 2000, a permis aux Européens de réaliser des progrès considérables en matière de lutte contre le hooliganisme.
1. Les conventions du Conseil de l’Europe destinées à lutter contre la violence dans les stades
Ce n’est pas une mais deux conventions qui ont été successivement adoptées par le Conseil de l’Europe pour faire en sorte que les matches de football et les autres manifestations sportives se déroulent dans un environnement sécurisé, sûr et accueillant pour tous. La première est toutefois destinée à être remplacée à terme par la seconde. La Convention européenne sur la violence et les débordements de spectateurs lors de manifestations, sportives, notamment de matches de football, répond au besoin de renforcer la sûreté lors des manifestations sportives et invite les États Parties à coopérer entre eux et à favoriser la collaboration entre leurs organisations sportives pour prévenir, maîtriser et sanctionner la violence des spectateurs. Élaborée en un temps record à la suite de la catastrophe du Heysel, elle est entrée en vigueur le 1er novembre 1985 et est ouverte à la signature des États non-membres du Conseil de l’Europe afin de renforcer son caractère mondial. Elle engage les États Parties à prendre des mesures concrètes destinées à prévenir la violence et protéger les spectateurs contre le hooliganisme, telles que le renforcement de la coopération entre les forces de police concernées, l’identification, la poursuite, la condamnation des contrevenants et l’application de peines appropriées, le contrôle rigoureux des ventes de billets, la restriction de la vente de boissons alcoolisées ainsi que des structures appropriées pour les stades. Sur le plan international, elle appelle à la mise en place d’une véritable coopération internationale afin de repérer les fauteurs de troubles et de les exclure des stades. L’extradition de personnes reconnues coupables d’infractions violentes est à cet égard préconisée.
La Convention a mis en place un Comité permanent dont la mission principale est de veiller au respect de celle-ci par les États parties et de suivre les progrès réalisés. Des visites consultatives et d’évaluation sont organisées pour accompagner les États parties. En outre, chaque Partie soumet un rapport annuel au Comité sur les mesures qu’elle prend pour mettre en application les dispositions de la Convention. Le Comité permanent débat également de questions d’intérêt général et adopte des recommandations adressées à l’ensemble des États parties.
En décembre 2013, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, au vu d’une étude sur l’opportunité de réviser la Convention, a estimé qu’une partie de ses dispositions était devenue obsolète et qu’une trop grande priorité était donnée aux mesures de sécurité sans que soient suffisamment pris en considération certains éléments, comme la sureté et les services d’accueil dont les effets sur le comportement des supporteurs et les niveaux de risques sont déterminants. Plutôt que de réviser la Convention, le Comité des ministres a décidé que devait être élaborée une nouvelle convention, la Convention sur la sécurité, la sûreté et les services lors des matches de football et autres manifestations sportives, également connue sous le nom de Convention de Saint-Denis[9]. Ouverte à la signature en 2016 aux États membres du Conseil de l’Europe, aux États parties à la Convention culturelle européenne et aux États non-membres ayant ratifié la première Convention, elle est aujourd’hui ratifiée par un total de 25 États[10]. Elle est appelée à remplacer progressivement la Convention de 1985, puisque chaque État qui ratifie la nouvelle Convention doit dénoncer l’ancienne[11].
L’importance de la Convention de Saint-Denis est notable car elle est actuellement le seul instrument international contraignant qui établit une approche intégrée et fondée sur le partenariat autour de trois piliers interdépendants: la sécurité, la sûreté et les services. Alors que la Convention de 1985 prônait une approche exclusivement axée sur la violence, la nouvelle Convention insiste sur le fait que les organismes publics et privés et autres parties prenantes doivent avoir à l’esprit que la sécurité, la sûreté et la prestation de services ne peuvent être pris en considération isolément et que chacun de ces objectifs peut avoir une incidence directe sur la mise en œuvre des deux autres.
Elle prescrit à cet effet des mesures précises basées sur les normes les plus élevées en ces matières développées en Europe et prône la coopération aux niveaux international, national et local entre toutes les parties prenantes, publiques et privées, impliquées dans l’organisation de manifestations sportives, y compris la population locale et les supporteurs. Aux termes de la Convention, les autorités doivent notamment s’assurer que les infrastructures des enceintes sportives sont conformes aux normes et réglementations nationales et internationales pour permettre une gestion efficace de la foule et de sa sécurité et que des plans de secours et d’intervention en cas d’urgence sont établis, testés et perfectionnés au cours d’exercices conjoints réguliers. Enfin, les États s’engagent à renforcer la coopération internationale par la création d’un point de contact national d’information football (PNIF) faisant office dans chaque État de point de contact unique pour l’échange d’informations et de données à caractère personnel concernant les supporteurs violents et à faciliter la coopération policière entre les États. La Convention a établi un Comité (dit comité de Saint-Denis) sur la sécurité et la sûreté des évènements sportifs chargés de suivre l’état du respect des engagements des Parties pris au titre de la Convention et de leur apporter soutien et des conseils politiques ciblés dans la mise en œuvre de ses dispositions[12]. Il constitue aujourd’hui une plateforme internationale unique en son genre pour l’échange d’expériences et de bonnes pratiques et pour le développement de la coopération internationale afin de mieux garantir la sureté, la sécurité et les services lors des matches de football et autres manifestations sportives[13]. Il doit aussi veiller à ce que la protection des droits de l’homme et la lutte contre les discours de haine, le racisme et la discrimination soient dûment intégrées dans les différentes politiques sportives.
Bien qu’intervenant plus tardivement, l’Union européenne a pris des initiatives significatives, essentiellement par la voie du Conseil et du Parlement, pour lutter contre la violence dans les stades et soutenir l’action du Conseil de l’Europe dans le cadre de la coopération prévue à l’article 165 TFUE. En outre, les mesures tant générales que spécifiques concernant la coopération et l’échange d’informations policières adoptées par l’Union européenne dans le cadre de la JAI s’appliquent au domaine de la sécurité et de la sureté lors de matches de football revêtant une dimension internationale. La décision 2002/348/JAI du Conseil du 25 avril 2002 impose à cet égard à chaque État membre de créer ou de désigner un « point national d’information « football » à caractère policier » (PNIF), institution dont s’est inspirée la Convention de Saint-Denis. La décision 2007/412/JAI du Conseil du 12 juin 2007 modifiant la décision de 2002 a ajouté des dispositions relatives à l’évaluation régulière des troubles liés au football au niveau national et aux formulaires destinés à l’échange d’informations. Enfin, s’il n’a pas été prévu que l’Union elle-même puisse devenir partie à la Convention de Saint-Denis, celle-ci a autorisé ses États membres à la signer et à la ratifier[14] dans la mesure où elle contient des dispositions concernant la coopération policière et l’échange d’informations qui relèvent de sa compétence.
2. La protection des supporteurs par la Cour européenne des droits de l’Homme
Si les deux organisations ont pour objectif de garantir la sécurité des spectateurs dans les stades, la Cour européenne des droits de l’Homme a eu l’occasion de soutenir cette politique au travers de sa jurisprudence. Celle-ci mentionne la Convention de Saint-Denis et le code sportif européen révisé, renforçant ainsi la corrélation de sa jurisprudence avec les instruments élaborés par le Conseil de l’Europe en matière sportive. Mais cette jurisprudence reste encore très modeste. Elle se fonde sur les obligations positives mises à la charge des États pour garantir la sécurité des manifestations sportives qui exigent de ceux-ci qu’ils prennent les mesures nécessaires pour prévenir les débordements des spectateurs ou qu’ils mènent une enquête officielle effective en cas de mauvais traitement ou de décès d’un individu.
Certains supporteurs maltraités par les forces de police ont ainsi pu invoquer l’article 3 de la Convention qui interdit la torture et les traitements inhumains et dégradants. Dans l’arrêt Hentschel et Starck c. Allemagne[15], la Cour a estimé que l’article 3 n’avait pas été violé s’agissant de deux supporters de football qui se plaignaient d’avoir été molestés par les forces de l’ordre après un match, estimant qu’il n’avait pas été établi au-delà de tout doute raisonnable que les évènements s’étaient effectivement déroulés conformément à la description des requérants. Elle a en revanche conclu à la violation de l’article 3 de la Convention en son volet procédural en raison du caractère non effectif de l’enquête menée sur les allégations des intéressés, le déploiement de policiers casqués sans insignes d’identification et les difficultés pour l’enquête qui en ont résulté n’ayant pas été suffisamment contrebalancées par des mesures d’investigation approfondies.
La Cour s’est également prononcée dans deux autres affaires sur la conformité au regard du droit à la liberté et à la sûreté consacré à l’article 5 de la Convention, de la mise en garde à vue ou de privation de liberté pendant plusieurs heures de supporteurs pour éviter les violences lors de matches de football. Dans les deux cas elle a conclu à l’absence de violation. Dans l’arrêt Ostendorf c. Allemagne[16], elle a jugé que la garde à vue du requérant était justifiée au regard de cette disposition en ce qu’elle avait eu pour but « de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ». Elle a estimé en particulier que cette mesure avait permis de contraindre le requérant à s’acquitter de l’obligation spécifique et concrète de s’abstenir d’organiser une bagarre entre des groupes opposés de hooligans lors d’un match de football. Dans le second arrêt rendu en grande chambre, S., V. et A. c. Danemark[17], elle a considéré que les juges danois avaient dans chaque affaire ménagé un juste équilibre entre le droit des requérants à la liberté et l’importance de prévenir le hooliganisme.
La Cour a enfin été confrontée à la question de la conformité de la dissolution par un État d’une association de supporteurs au regard de la liberté d’association consacrée à l’article 11 de la Convention[18]. L’affaire concernait deux clubs de supporteurs de football du Paris-Saint-Germain qui avaient été dissous à la suite d’échauffourées auxquelles certains de ses membres avaient participé et qui se terminèrent par la mort d’un supporteur. Les associations requérantes soutenaient en particulier que leur dissolution avait constitué une ingérence disproportionnée dans leur droit à la liberté de réunion et d’association. La Cour a conclu à la non-violation de l’article 11 de la Convention. Prenant en considération le contexte particulier dans lequel la mesure de dissolution litigieuse avait été prise, la Cour a jugé que les autorités nationales avaient pu considérer qu’il existait un « besoin social impérieux » d’imposer des restrictions drastiques à l’égard des groupes de supporters, comme l’étaient en l’espèce les mesures litigieuses. Les mesures de dissolution étaient donc nécessaires, dans une société démocratique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime. Elle a en outre admis que l’ampleur de la marge d’appréciation en matière d’incitation à l’usage de la violence est particulièrement ample. À cet égard, et vu le contexte, la Cour a estimé que les mesures de dissolution pouvaient passer pour proportionnées au but poursuivi.
La violence n’est pas le seul fléau à s’abattre sur le sport. Le dopage, l’afflux massif d’argent, le développement rapide des paris sportifs légaux et illégaux rendu possible grâce aux progrès technologiques ont porté atteinte à l’intégrité du sport et aux droits tant des sportifs professionnels que des amateurs de paris.
B. La manipulation des compétitions sportives et l’intégrité sportive
Malgré les efforts significatifs des organisations sportives pour améliorer et démocratiser leur gouvernance, le sport est de plus en plus éclaboussé par des scandales liés au dopage ou aux matchs arrangés ou truqués, au développement du marché des paris sportifs illégaux ainsi qu’à d’autres formes de corruption. De telles manipulations portent atteinte à l’intégrité des compétitions sportives en compromettant l’imprévisibilité de leurs résultats[19].
1. La lutte contre le dopage et la protection de la santé des athlètes
Le dopage consiste pour les sportifs à recourir à des substances ou des procédés interdits dans le but d’améliorer leurs performances et leurs résultats. La lutte contre le dopage évoque souvent la nécessité de préserver la loyauté des compétitions sportive et l’égalité des compétiteurs dans les compétitions sportives. Mais elle est également destinée à protéger la santé physique et mentale des sportifs car les substances ingérées peuvent entraîner des troubles du comportement, et de multiples problèmes de santé, parfois mortels, comme des arrêts du cœur ou des cancers. Comme le souligne le rapport explicatif de la Convention européenne anti-dopage, « le sport a pour but d’exalter la vie et non pas de lui faire courir des risques ».
En vertu du principe d’autonomie des organisations sportives, celles-ci sont, en étroite collaboration avec l’Agence Mondiale antidopage (AMA), seules responsables de la gestion des contrôle antidopage et de l’application de sanctions en cas de violation des règles antidopage[20]. Le rôle de l’Union européenne est encore peu développé en ce domaine mais devrait sur la base de l’article 164-2 du TFUE soutenir le travail de l’AMA et renforcer la coopération existante entre les organisations sportives et les autorités nationales. Le Conseil de l’Europe a été la première organisation internationale à promouvoir la lutte anti-dopage et à adopter une convention sur la question du dopage, avant même que l’UNESCO ne s’en préoccupe[21].
La Convention contre le dopage a été adoptée au sein du Conseil de l’Europe le 16 novembre 1989. Elle est aujourd’hui ratifiée par tous les États membres du Conseil de l’Europe ainsi que par 6 autres États non-membres[22]. Instrument de référence à l’échelle européenne, elle met en avant la volonté politique des États parties de lutter contre le dopage dans le sport de manière active et coordonnée ainsi que leur souhait de renforcer leur coopération avec les organisations sportives en vue de réduire et, à terme, d’éliminer le dopage dans le sport. Si elle n’a pas pour ambition la création d’un modèle uniforme de lutte contre le dopage, elle vise néanmoins à établir un certain nombre de standards et de règlements communs, poussant les États parties à adapter leur législation. Ceux-ci s’engagent notamment à rendre plus difficile la possibilité de se procurer et d’utiliser des substances interdites telles que les stéroïdes anabolisants, à aider au financement des tests antidopage, à établir un lien entre l’application stricte des réglementations antidopage et l’octroi de subventions aux organisations sportives ainsi qu’aux sportifs et à veiller à ce que leurs organisations sportives procèdent à des contrôles antidopage réguliers tant au cours qu’en dehors des compétitions, y compris dans d’autres pays. En adoptant un cadre commun, les gouvernements agissent dans l’intérêt des athlètes qui sauront qu’ils sont soumis à la même politique et aux mêmes procédures quel que soit le pays d’où ils viennent.
La Convention a prévu la mise en place d’un groupe de suivi, le T-DO, qui suit sa mise en œuvre et fournit une assistance ciblée aux États parties[23]. Il joue également un rôle actif dans l’harmonisation nationale et internationale des mesures à prendre contre le dopage.
Un protocole additionnel, entré en vigueur en 2004, et ratifié par 29 États dont deux États non-membres du Conseil de l’Europe[24], a renforcé la Convention en garantissant la reconnaissance mutuelle des contrôles anti-dopage et en renforçant la mise en œuvre de la Convention par un système de contrôle obligatoire. Il améliore le mécanisme de suivi mis en place en l’assortissant d’une équipe d’évaluation chargée d’examiner le rapport national soumis au préalable par chaque Partie concernée au moyen d’une visite sur place et d’élaborer un rapport d’évaluation. En vertu du Protocole, les Parties doivent se prêter à l’évaluation, ce qui fait de la Convention contre le dopage l’une des rares conventions internationales assortie d’un système de contrôle aussi rigoureux. Il est aussi le premier instrument de droit international public qui reconnaît la compétence de l’Agence mondiale antidopage pour la réalisation des contrôles hors compétition[25].
Malgré les nombreuses mesures prises, qu’elles soient répressives ou préventives, à l’échelon national, européen ou mondial, la pratique du dopage ne fait que s’amplifier et est de plus en plus difficile à déjouer. En même temps, les techniques mises en œuvre pour le détecter sont de plus en plus raffinées et performantes. Mais les conditions de contrôle auxquelles sont soumis les athlètes sont parfois ressenties par ces derniers comme une atteinte à leurs droits, droits qu’ils n’hésitent plus à invoquer devant les tribunaux qui sont de plus en plus reconnus aux sportifs, sous certaines conditions, par les cours européennes (cf. infra).
2. La Convention sur la manipulation des compétitions sportives et la protection des parieurs
Avec l’évolution des nouvelles technologies, les manipulations financières qui touchent les compétitions sportives se sont mondialisées et ont permis aux réseaux internationaux de criminalité organisée de s’y insérer. La menace criminelle est devenue telle que les mouvements sportifs ne peuvent plus y faire face seuls. En outre, pour les États, laisser aux organisations sportives au nom de leur autonomie le soin de se défendre contre ces phénomènes représentait un risque pour leur souveraineté. Lutter contre la cybercriminalité et les possibilités de blanchiment d’argent qu’elle offre, combattre la corruption nécessitaient donc une réponse commune et harmonisée[26]. C’est ce qu’ont compris les États membres du Conseil de l’Europe qui ont élaboré sous les auspices de l’organisation le premier et seul instrument juridique contraignant de droit international destiné à lutter contre la manipulation des résultats des compétitions sportives, à savoir la Convention sur la manipulation des compétitions sportives (dite Convention de Macolin). Celle-ci a été adoptée en septembre 2014 après deux années de négociations difficiles auxquelles la Commission au nom de l’Union européenne était partie prenante, et est entrée en vigueur en 2019.Afin d’apporter des réponses mondiales à ce problème, les États non-membres du Conseil de l’Europe ayant participé à son élaboration ou ayant le statut d’observateur auprès du Conseil ainsi que l’Union européenne ont été admis à devenir Parties à la Convention. Mais le nombre de ratifications reste peu élevé – huit à ce jour – et l’Union européenne ne l’a toujours pas ratifiée[27], ce qui remet en question son efficacité et son influence.
Le but de la Convention de Macolin est de combattre la manipulation des compétitions sportives, afin de protéger l’intégrité du sport et l’éthique sportive, dans le respect du principe de l’autonomie du sport. La Convention ne se limite pas à la question des paris sportifs, elle concerne toutes les modifications intentionnelles et irrégulières du déroulement ou du résultat d’une compétition sportive afin de supprimer tout ou partie du caractère imprévisible de cette compétition, en vue d’obtenir un avantage indu pour soi-même ou pour d’autres. En raison de l’inadaptation des instruments internationaux existants ou de leur inapplicabilité à cette question, elle invite les gouvernements à se doter des moyens pour prévenir, détecter et sanctionner disciplinairement ou pénalement les manipulations nationales ou transnationales des compétitions sportives nationales ou internationales. Ils doivent entre autres prévenir les conflits d’intérêts et l’utilisation abusive d’informations d’initiés par les opérateurs de paris sportifs et encourager les autorités de régulation des paris sportifs à lutter contre la fraude et les paris illégaux. L’un des apports majeurs de la Convention a été d’organiser le dialogue et la coopération entre les différents acteurs impliqués dans la lutte contre la manipulation des compétitions sportives, à savoir les autorités publiques, les organisations sportives, les organisateurs de compétitions, les sportifs eux-mêmes et les opérateurs de paris. Enfin, elle propose un cadre juridique commun pour une coopération internationale efficace afin de répondre à cette menace transnationale.
Un Comité de suivi est chargé de veiller à la mise en œuvre de la Convention afin de lui assurer une assise institutionnelle. Il adresse des recommandations aux Parties concernant les mesures à prendre pour la mise en œuvre de la Convention, notamment en matière de coopération internationale ou pour améliorer la coopération opérationnelle entre les autorités publiques pertinentes, les organisations sportives et les opérateurs de paris.La Cour de justice de l’Union européenne a, quant à elle, abordé la question des paris sportifs et de la protection des consommateurs sous l’angle très général de la liberté d’établissement et de la prestation de service dès lors que l’un des prestataires est établi dans un autre État membre que celui dans lequel le service est offert. Selon une jurisprudence constante, elle considère que les mesures qui visent à restreindre le nombre d’opérateurs de paris sportifs sur un territoire national constituent une restriction à ces deux libertés qui ne peut être justifiée que par des raisons impérieuses d’intérêt général, tels que les objectifs de protection des consommateurs, de prévention de la fraude et de l’incitation des citoyens à une dépense excessive liée au jeu, ainsi que de prévention des troubles à l’ordre social en général[28]. En outre, ces mesures restrictives doivent être appliquées de façon non discriminatoire et être proportionnées à l’objectif poursuivi. Il appartient aux autorités nationales d’apprécier si, dans le contexte du but poursuivi, il est nécessaire d’interdire totalement ou partiellement des activités de cette nature ou seulement de les restreindre et de prévoir à cet effet des modalités de contrôle plus ou moins strictes. Elle a ainsi pu considérer dans l’arrêt Placanica[29] qu’un système de concession peut constituer un mécanisme efficace permettant de contrôler les opérateurs actifs dans le secteur des jeux de hasard, afin de prévenir l’exploitation de ces derniers à des fins criminelles ou frauduleuses.
Partie II – La reconnaissance encore balbutiante des droits des sportifs professionnels
La Cour européenne a très récemment développé une jurisprudence pour protéger d’une manière générale les droits des sportifs professionnels. En effet, ces derniers n’hésitent plus à invoquer directement la Convention européenne des droits de l’homme devant les tribunaux sportifs, permettant à la Cour de connaître des violations dans le chef des droits garantis aux athlètes dans la Convention européenne des droits de l’homme. Cette jurisprudence est confortée par celle de la Cour de justice de l’Union européenne. Il s’agit toutefois de jurisprudences encore peu importantes, mais qui sont appelées se développer dans le futur.
A. Les droits des sportifs professionnels consacrés par la Cour européenne des droits de l’homme
Parmi les droits reconnus aux sportifs figure en premier lieu le droit à un procès équitable. Ce droit concerne la procédure utilisée devant le Tribunal arbitral sportif (TAS) dont le siège et à Lausanne mais aussi devant les autres juridictions sportives. D’autres droits ont été revendiqués devant la Cour européenne des droits de l’homme qui y répond par une jurisprudence toute en nuance, adaptée aux cas concrets. Elle reconnait sans le mentionner explicitement le principe d’autonomie sportive à travers l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme qu’elle applique aux tribunaux arbitraux sportifs, qu’il s’agisse du TAS ou des tribunaux arbitraux nationaux. En outre, les sportifs professionnels se voient reconnaître d’autres droits de manière progressive, ceux-ci n’hésitant plus à revendiquer leurs droits devant la Cour de Strasbourg.
1. Le droit à un procès équitable (article 6 CEDH) et la reconnaissance implicite de l’autonomie sportive
Le droit à un procès équitable est essentiel pour les sportifs car il vise non seulement à garantir que les droits de l’homme des sportifs et de toute personne impliquée dans le sport soient respectés mais aussi à lutter contre l’arbitraire et les abus grâce à l’accès à une justice indépendante et à un procès équitable. Le Conseil de l’Europe a eu l’occasion dans la recommandation CM/Rec(2022)14 de rappeler l’importance de ce droit en ce qui concerne les procédures antidopage engagées contre un sportif ou toute autre personne physique ou morale qui aurait enfreint les règles antidopage.
Ainsi, la Cour de Strasbourg, a récemment été appelée à connaitre de plusieurs affaires concernant l’application des garanties de l’article 6§1 aux juridictions sportives. Elle a rendu avec l’arrêt Mutu et Pechstein c. Suisse[30] un arrêt phare concernant le mécanisme du Tribunal arbitral sportif (TAS) mis en place pour préserver le plus possible l’autonomie et l’autogouvernance des fédérations sportives au travers d’un recours systématique à son arbitrage pour la contestation par les athlètes des décisions prises à leur égard. Elle a, au grand soulagement des organisations sportives, tenu compte de la spécificité sportive en jugeant que les procédures d’arbitrage devant le TAS offrent dans leur principe l’ensemble les garanties d’un procès équitable. Elle a surtout reconnu la pertinence d’un mécanisme d’arbitrage pour régler les litiges en matière sportive, confortant ainsi l’autonomie des fédérations sportives[31]. Elle indique en ce sens qu’« un mécanisme non étatique de règlement des conflits en première et/ou deuxième instance, avec une possibilité de recours, bien que limitée, devant un tribunal étatique, en dernière instance », peut constituer une solution appropriée en ce domaine. Elle note à cet égard l’intérêt certain de soumettre les différends qui naissent dans le cadre du sport professionnel, notamment ceux qui comportent une dimension internationale, « à une juridiction spécialisée, qui soit à même de statuer de manière rapide et économique ». Elle ajoute que « le recours à un tribunal arbitral international unique et spécialisé facilite une certaine uniformité procédurale et renforce la sécurité juridique. Cela est d’autant plus vrai lorsque les sentences de ce tribunal peuvent faire l’objet de recours devant la juridiction suprême d’un seul pays, en l’occurrence le Tribunal fédéral suisse, qui statue par voie définitive »[32].
Dans cette affaire, la Cour a été saisie par M. Mutu, un footballeur professionnel condamné à indemniser son ancien club, et par Mme Pechstein une patineuse professionnelle de vitesse condamnée pour dopage, qui contestaient le refus du Tribunal fédéral suisse d’annuler les sentences litigieuses du TAS les concernant. Leurs deux requêtes portaient sur la question de l’indépendance du TAS et en conséquence sur une éventuelle violation par la Suisse du droit d’accès à un tribunal indépendant et impartial de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme qui consacre le droit à un procès équitable.
La Cour a été appelée à clarifier différents points, et d’abord celui de sa compétence. L’arrêt était d’autant plus attendu que le statut du TAS prête à discussion car le TAS n’est pas un tribunal étatique, mais émane du Conseil international de l’arbitrage en matière de sport (CIAS) qui est une fondation de droit privé. La Cour de Strasbourg s’est néanmoins reconnue compétente, considérant que la responsabilité d’un État peut être engagée au regard de la Convention lorsque ses autorités sont appelées à approuver, formellement ou tacitement, les actes des particuliers violant les droits garantis par la Convention dans le chef d’autres particuliers soumis à sa juridiction. Or tel est bien le cas, dans la mesure où la loi suisse prévoit la compétence du Tribunal fédéral suisse pour connaître de la validité des sentences du TAS, notamment en ce qui concerne la régularité de la composition de la formation arbitrale. En outre, le Tribunal fédéral a, en rejetant le recours des requérant, donné force de chose jugée dans l’ordre juridique suisse aux sentences arbitrales contestées. La Cour reconnait en conséquence que la responsabilité de l’État défendeur, en l’occurrence la Suisse, est susceptible d’être engagée en vertu de la Convention en ce qui concerne le TAS, par application de la théorie de l’effet horizontal de la Convention qui permet à celle-ci de s’appliquer à des relations purement privées, ici entre les athlètes, d’une part, et le TAS, de l’autre. Nul doute qu’après cet arrêt, les sportifs seront incités à invoquer de manière directe – et non plus seulement indirectement – devant le TAS, non seulement l’article 6 de la Convention, mais aussi les dispositions de la Convention dont l’horizontalité n’est pas contestée[33].
Quant à sa compétence rationae materiae, la Cour note que dans les deux requêtes, la présence d’une contestation de caractère civil au sens de la Convention ne fait aucun doute, qu’il s’agisse de la condamnation de M. Mutu à verser des dommages et intérêts au club Chelsea ou d’une procédure disciplinaire menée contre Mme Pechstein devant des organes corporatifs et dans le cadre duquel le droit de pratiquer une profession se trouve en jeu[34]. La Cour confirme donc sa compétence à l’égard des joueurs professionnels, mais tel ne semble pas être le cas pour les joueurs amateurs sauf en cas de litige financier. En effet, dans l’affaire Riza Ali et autres c. Turquie, elle a jugé irrecevables les requêtes de trois joueurs de football amateurs, dans la mesure où la procédure disciplinaire dans laquelle ils étaient engagés ne relevait pas de la détermination d’une accusation pénale au sens de l’article 6 de la Convention et où les requérants n’avaient pas apporté la preuve que le litige était d’ordre pécuniaire.
Sa compétence reconnue, la Cour de Strasbourg s’attarde longuement sur la question de la conformité du TAS au regard des exigences de l’article 6 et confirme l’indépendance du mécanisme d’arbitrage mis en place dans le cadre du TAS. Elle considère que si les parties au litige font le choix de l’arbitrage, elles optent pour un mécanisme privé en raison de ses avantages liés à sa rapidité et à son efficacité. Elles peuvent en conséquence renoncer à certaines garanties procédurales de l’article 6 § 1 qui s’imposent normalement à la justice étatique. La Cour pose néanmoins une condition pour que l’acceptation de la clause d’arbitrage vale renonciation à tout ou partie de ces garanties procédurales: celle-ci ne doit pas être contrainte, c’est-à-dire qu’elle doit relever d’un choix « libre, licite et sans équivoque » de l’athlète. Dans le cas contraire d’une acceptation « forcée » de la clause d’arbitrage, c’est à dire imposée par la loi, la procédure d’arbitrage doit nécessairement respecter les garanties de l’article 6§1 de la Convention[35]. En effet le caractère obligatoire de l’arbitrage sportif requiert qu’il ne puisse exister aucun doute dans l’esprit des athlètes quant à l’indépendance structurelle du TAS vis-à-vis des fédérations sportives qui leur imposent l’arbitrage.
Appliquant cette dissociation aux requérants, elle considère dans le cas de Mme Pechstein que l’acceptation de la juridiction du TAS par la requérante s’analyse comme un arbitrage « forcé », même si l’arbitrage n’a pas été imposé par la loi mais par la règlementation de l’Union internationale de patinage. En effet, le seul choix s’offrant à elle consistait soit à accepter la clause d’arbitrage pour continuer à gagner sa vie en pratiquant sa discipline au niveau professionnel, soit à la refuser et être contrainte de renoncer complètement à pratiquer sa discipline à un tel niveau. Quant à M. Mutu, s’il n’avait pas été forcé d’accepter la juridiction du TAS, il n’avait pas pour autant renoncé de manière non équivoque à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial, dans la mesure où sa demande portait précisément sur la récusation de l’arbitre choisi par le club de football de Chelsea. Aussi, pour la Cour, la procédure d’arbitrage devait dans les deux cas offrir les garanties de l’article 6 § 1 de la Convention.
La Cour avait en conséquence carte blanche pour rechercher si le TAS remplissait les conditions d’indépendance et d’impartialité exigées par l’article 6 de la Convention par rapport aux organisations sportives qu’il est conduit à juger. La position de la Cour sur cette question était très attendue pour mettre un terme aux débats doctrinaux et aux divergences d’interprétation de la part de certains juges nationaux. A l’argument tiré de l’absence d’indépendance du TAS en raison du financement de celui-ci par les instances sportives, la Cour invoque l’analogie du financement des tribunaux nationaux par les États. À celui relatif au mode de désignation des arbitres sur la liste du TAS, la Cour se dit prête à reconnaitre que les organisations sportives susceptibles de s’opposer aux athlètes dans le cadre de litiges portés devant le TAS exerçaient effectivement une réelle influence dans le mécanisme de nomination des arbitres à l’époque des faits, mais que pour autant elle « ne peut pas conclure que, du seul fait de cette influence, la liste des arbitres était composée, ne serait-ce qu’en majorité, d’arbitres ne pouvant pas passer pour indépendants et impartiaux, à titre individuel, objectivement ou subjectivement, vis-à-vis de ces organisations ». La Cour renvoie à la jurisprudence du Tribunal fédéral pour lequel « le système de la liste d’arbitres satisfait aux exigences constitutionnelles d’indépendance et d’impartialité applicables aux tribunaux arbitraux et le TAS, lorsqu’il fonctionne comme instance d’appel extérieure aux fédérations internationales, s’apparente à une autorité judiciaire indépendante des parties ».
S’agissant toutefois de la question de la publicité de la procédure devant le TAS, la Cour conclut dans l’affaire Pechstein, à une violation de l’article 6§1 de la Convention en raison de l’absence d’audience publique. Elle a considéré que les questions concernant le bien-fondé d’une sanction pour dopage et débattues devant le TAS, nécessitaient la tenue d’une audience sous le contrôle du public. La Cour rappelle à cet égard « que la publicité de la procédure judiciaire constitue un principe fondamental consacré par l’article 6 § 1 de la Convention. Cette publicité protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public et constitue ainsi l’un des moyens qui contribuent à la préservation de la confiance dans les tribunaux ».
A la suite de cet arrêt, la Cour affirme que les garanties d’indépendance et d’impartialité de l’article 6 s’appliquent non seulement au TAS, mais aussi à tous les mécanismes d’arbitrage nationaux en cas d’acceptation obligatoire de leur compétence, confirmant ainsi clairement que la procédure d’arbitrage fait bien partie de la spécificité sportive. Elle rappelle en effet dans l’arrêt Riza Ali et autres c. Turquie du 28 janvier 2020[36] que la création de tribunaux arbitraux pour régler certains litiges pécuniaires entre particuliers est conforme à la Convention dès lors qu’ils offrent les garanties appropriées. Dans cet arrêt, la Cour a conclu sur des litiges concernant un joueur professionnel et un arbitre à la violation de l’article 6§1 en raison d’un défaut d’indépendance et d’impartialité de la Fédération turque de football (TFF)[37]. Elle a jugé en particulier que l’organe exécutif de la TFF, le conseil d’administration, qui avait toujours été dans une large mesure composé de membres ou de cadres de clubs de football, exerçait une influence excessive sur l’organisation et le fonctionnement de la commission d’arbitrage. De plus, le règlement de la TFF ne prévoyait pas de garanties propres à protéger les membres de la commission d’arbitrage contre les pressions extérieures. Pour la Cour, les requérants avaient donc une raison légitime de douter que les membres du comité d’arbitrage, en l’absence de garanties adéquates les protégeant contre les pressions extérieures, notamment celles du conseil d’administration, aborderaient leur affaire avec l’indépendance et l’impartialité nécessaires. Enfin, notant que l’affaire avait mis en évidence un problème systémique touchant le règlement des litiges dans le milieu du football en Turquie, la Cour a indiqué, en vertu de l’article 46 de la Convention, que l’État devait prendre des mesures visant à assurer l’indépendance structurelle de la commission d’arbitrage[38].
Si la question de la conformité de la procédure devant des juridictions arbitrales pouvait se poser au regard des exigences de l’article 6 de la Convention, ces dernières s’imposent à l’évidence lorsque les tribunaux nationaux sont compétents pour connaître des litiges concernant les clubs sportifs et professionnels. Tel est bien le cas du droit d’accès à un tribunal qui doit, conformément aux exigences de l’article 6 de la Convention, être conféré aux athlètes professionnels. Ainsi dans l’affaire FC Mretebi c. Géorgie[39] qui concernait des sommes importantes d’argent liées au transfert d’un joueur de football entre des clubs de football géorgiens et étrangers, la Cour a conclu à l’existence d’un déni injustifié d’accès à un tribunal et en conséquence à une violation de l’article 6 de la Convention, dans la mesure où le club requérant avait dû renoncer sous peine de faire faillite à un pourvoi en cassation car il n’avait pas pu obtenir une exonération du paiement des frais de justice devant la juridiction de cassation. Elle a relevé que la Cour suprême de Géorgie n’avait pas assuré un juste équilibre entre, d’une part, l’intérêt de l’État à percevoir des frais de justice d’un montant raisonnable et, d’autre part, l’intérêt du club de football requérant à faire valoir ses prétentions en justice. La Cour a été amenée à conclure que la restriction en l’espèce était purement financière, sans rapport avec le bien-fondé de la demande ou ses perspectives de succès, ce qui appelait un examen particulièrement rigoureux dans l’intérêt de la justice.
Dans une affaire Ali Riza dirigée cette fois-ci contre la Suisse[40], la Cour a de nouveau eu l’occasion de se prononcer sur le droit d’accès des sportifs professionnels à un tribunal. L’affaire concernait un litige opposant un joueur de football professionnel qui se plaignait d’avoir été condamné par la Fédération de Football de Turquie à payer des dommages et intérêts pour avoir quitté le Club sans préavis avant le terme de son contrat. Le joueur avait saisi le Tribunal arbitral du sport (TAS), qui se déclara incompétent, décision confirmée par le Tribunal Fédéral suisse. La Cour a considéré que la décision d’incompétence du TAS ainsi que celle du Tribunal fédéral n’étaient ni arbitraires ni manifestement déraisonnables et que la limitation au droit d’accès du requérant à un tribunal n’était pas disproportionnée au regard du but poursuivi, à savoir la bonne administration de la justice et l’effectivité des décisions judiciaires internes.
Enfin la Cour a été saisie dans l’affaire Bakker c. Suisse[41] de la question de l’accès au Tribunal fédéral suisse à l’occasion d’un appel contre une sanction prononcée par le TAS ayant eu pour effet d’interdire à vie au requérant d’exercer sa profession de cycliste en raison d’abus en matière de dopage. La Cour a déclaré la requête irrecevable car manifestement mal fondée. S’agissant du droit d’accès du requérant au Tribunal fédéral, la Cour a considéré que les motifs invoqués par le Tribunal fédéral pour fonder l’irrecevabilité du recours n’étaient pas constitutifs d’une restriction à ce droit qui soit arbitraire ou disproportionnée[42]. Quant au grief tiré du pouvoir restreint du Tribunal fédéral, la Cour a considéré que le requérant ne saurait se plaindre que le Tribunal fédéral ne bénéficie pas d’un plein pouvoir d’examen dans la mesure où il avait bénéficié d’un contrôle complet devant le TAS, portant aussi bien sur des questions de droit que des constatations de fait.
2. Les autres droits consacrés au bénéfice des sportifs professionnels
D’autres droits ont été invoqués par les athlètes devant la Cour européenne des droits de l’homme et selon les circonstances de l’affaire reconnus ou non à ceux-ci. La difficulté principale pour la Cour est de trouver dans chaque affaire une juste balance entre les droits consacrés par la Convention et les intérêts pouvant entrer en conflit avec ceux-ci, comme la sureté et la sécurité du public, la tolérance et le respect mutuel, la nécessité de combattre les discours de haine et de violence etc… et de déterminer si les restrictions imposées par les autorités à ces droits sont nécessaires dans une société démocratique et proportionnées au but poursuivi. En outre, elle fait le plus souvent bénéficier l’État mis en cause d’une large marge d’appréciation en raison du caractère très sensible des affaires qui lui sont soumises.
La liberté d’expression (art. 10 de la CEDH)
Traditionnellement, la liberté d’expression des sportifs est largement encadrée par les instances sportives qui considèrent que la performance sportive doit seule compter et que le sport doit rester neutre. Surtout celui-ci ne doit interférer ni avec la politique ni avec la religion, tout comme ces dernières ne doivent pas s’ingérer dans le sport. Le sport apparait ainsi comme un espace clos que la liberté d’expression ne doit pas perturber. À cet égard, la Charte Olympique est très claire. Le deuxième point de l’article 50 mentionne qu’ « aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique ».
Mais les manifestations de protestations ou de soutien à des causes politiques se multiplient pendant ou en dehors des événements sportifs, qui sont d’autant plus médiatisées que le sportif est connu du grand public. La Cour européenne des droits de l’homme n’a eu que peu d’occasions de se prononcer sur la question de la liberté d’expression des sportifs professionnels.
Les organisations sportives ont souvent tendance à restreindre la liberté d’expression des sportifs afin que ces derniers ne l’utilisent pas pour les critiquer. La Cour a ainsi été saisie de requêtes contestant sur le fondement de l’article 10 de la Convention des sanctions qui avaient été infligées aux sportifs professionnels par la commission de discipline du football professionnel de la Fédération turque de football (TFF) en raison de déclarations dans les médias ou de messages publiés ou relayés sur les réseaux sociaux ainsi que des procédures d’opposition que les requérants avaient introduites contre ces sanctions devant la Commission d’arbitrage de la fédération. Dans trois arrêts rendus le même jour, Sedat Doğan c. Turquie, Naki et Amed Sportif Faaliyetler Kulübü Derneği c. Turquie et Ibrahim Tokmak c. Turquie, la Cour a constaté dans chaque affaire une violation de l’article 10 de la Convention, car la motivation des sanctions disciplinaires prononcées à l’encontre des requérants attestait un défaut de mise en balance adéquate par les autorités turques entre la liberté d’expression des requérants avec le droit des dirigeants d’une fédération sportive au respect de leur vie privée ainsi que d’autres intérêts en jeu, tels que le maintien de l’ordre et de la paix dans la communauté footballistique[43].
Mais la liberté d’expression reconnue aux sportifs connaît des limites. Ainsi à propos de la liberté d’expression politique, la Cour a considéré dans sa décision Simunic c. Croatie[44], que celle-ci peut faire l’objet de restrictions dans l’intérêt de la société à promouvoir la tolérance et le respect mutuel lors des manifestations sportives ainsi qu’à lutter contre la discrimination à travers le sport. Dans cette affaire, le requérant, un joueur professionnel de football, contestait, sur le fondement de l’article 10 de la Convention, sa condamnation pour s’être adressé aux spectateurs d’un match de football en criant « Pour la Patrie », un cri de ralliement croate qui était utilisé durant la seconde guerre mondiale par le mouvement fasciste des Oustachis. Les tribunaux internes ont considéré le requérant coupable d’une infraction mineure ayant consisté à adresser au public des messages dont la teneur exprimait une haine fondée sur la race, la nationalité et la religion, ou incitait à une telle haine. La Cour a jugé la requête irrecevable pour défaut manifeste de fondement, considérant que la condamnation du requérant avait reposé sur des motifs pertinents et suffisants et qu’un juste équilibre avait été ménagé par la juridiction interne entre sa liberté d’expression et les intérêts précités. Elle relève néanmoins que le requérant qui était un footballeur célèbre et un modèle pour de nombreux fans, aurait dû être conscient de l’impact négatif que l’emploi d’un slogan provocant pouvait avoir sur le comportement des spectateurs, et aurait dû s’abstenir d’une telle conduite.
Si cette jurisprudence reste encore limitée, les litiges concernant la liberté d’expression des sportifs pourraient dans l’avenir se multiplier compte tenu de la sensibilité de plus en grande des sportifs à certaines formes d’atteintes aux droits de l’homme et de la volonté d’exprimer dans le stade leur opposition comme on a pu le constater lors de l’affaire George Floyd ou de la Coupe du monde de football au Qatar. Les athlètes entrent alors en conflit avec les fédérations sportives qui veulent à tout prix préserver leur vision de la neutralité du sport.
Le respect de la vie privée (art. 10 de la CEDH) et la liberté de circulation (art. 2 Protocole 3 CEDH)
La lutte contre le dopage dans le sport suppose la mise en place de procédures équitables tout en respectant la nécessité de protéger la vie privée des athlètes, y compris leur réputation et leurs informations médicales. Pour eux, la lutte contre le dopage mise en place par le code mondial anti-dopage est construite sur la base d’une présomption de fraude, qui oblige à fournir aux instances de contrôles des informations personnelles et intimes obtenues par des moyens médicaux contraignants et parfois intrusifs (prise de sang, urine). Ils estiment également que la législation antidopage actuelle ne leur permet pas de refuser la collecte ou le traitement de ces informations, car ce refus emporterait violation de cette législation. Ils contestent surtout l’obligation de localisation qui autorise les contrôles inopinés et individualisés en dehors des manifestations sportives et des périodes d’entraînement et qui est imposé à des sportifs composant un « groupe cible »[45], car elle porterait atteinte à la libre disposition de leur corps, au droit au respect de leur vie privée et familiale et de leur domicile, ou encore de leur liberté d’aller et de venir[46].
La Cour européenne des droits de l’homme a été saisie de cette question sensible par la Fédération nationale des associations et syndicats de sportifs (FNASS) et individuellement par des sportifs. Ceux-ci contestaient la conformité de la disposition de l’ordonnance française de 2010 relative à la santé des sportifs et la mise en conformité du code du sport avec les principes du code mondial antidopage[47] qui imposent une obligation de localisation au regard de certains droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme, dont le droit à la protection de la vie privée[48]. L’arrêt était, on s’en doute, fort attendue par les sportifs, mais ceux-ci ont été déçus car la Cour a considéré dans l’arrêt FNASS et autres[49] que l’obligation de localisation était conforme à la Convention. Certes, elle admet l’impact non négligeable qu’une telle obligation fait peser sur la vie privée des sportifs, mais elle considère que les motifs d’intérêt général qui la justifient sont d’une importance telle qu’ils rendent nécessaires les ingérences dans leur vie privée. Comme l’avait fait auparavant le Conseil d’État français[50], elle juge l’obligation justifiée par des enjeux sanitaires et de santé publique. Pour elle, la réduction ou la suppression de cette obligation « conduirait à accroître les dangers du dopage pour la santé des sportifs et irait à l’encontre de la communauté de vue européenne et internationale sur la nécessité d’opérer des contrôles inopinés pour conduire la lutte antidopage ». Elle ajoute qu’une telle obligation se rattache également au but légitime que constitue la protection des droits et libertés d’autrui car l’usage de substances dopantes pour obtenir des résultats dépassant ceux des autres sportifs « écarte injustement les compétiteurs de même niveau qui n’y recourent pas, incite dangereusement les pratiquants amateurs, et en particulier les jeunes, à utiliser de tels procédés pour capter des succès valorisants et, enfin, prive les spectateurs d’une compétition loyale à laquelle ils sont légitimement attachés ». En conséquence, pour la Cour, un juste équilibre a bien été aménagé entre les différents intérêts en jeu et l’obligation de localisation ne viole pas le droit au respect de la vie privée, de la vie familiale et du domicile.
Quant à l’argument des requérants selon lequel l’obligation de localisation porterait à leur liberté de circulation garantie par l’article 2 du Protocole 4 à la Convention, la Cour de Strasbourg a considéré ce grief comme irrecevable. En effet les contraintes qu’elle impose aux sportifs ne sont pas suffisantes pour être considérées comme une restriction à cette liberté, car l’obligation de localisation n’interdit pas aux sportifs concernés de librement circuler à l’intérieur du territoire national ni même de le quitter. Ils sont simplement contraints d’indiquer l’endroit où ils seraient disponibles dans le pays de destination pour un tel contrôle.
Si cet arrêt ne concerne que la règlementation française, sa portée est bien plus générale car les obligations de localisation concernées prévues par le code du sport et précisées par des directives de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), ne constituent que la transposition en droit interne de dispositions du code mondial antidopage.
3. La discrimination
D’autres polémiques se sont développées autour de la discrimination opérée entre les athlètes en raison de leur genre ou de leur religion[51]. La Cour européenne des droits de l’homme n’a été, pour le moment saisie que d’une question liée à une discrimination fondée sur le sexe mais la requête est encore pendante devant celle-ci, et d’une discrimination fondée sur le handicap.
L’affaire Semenya c. Suisse[52], qui n’est pas encore jugée, concerne une athlète de niveau international spécialisée dans des courses de demi-fond qui se plaint d’un règlement de l’International Association of Athletics Federations (IAAF) l’obligeant à réduire son taux naturel de testostérone par des traitements hormonaux pour pouvoir participer aux compétitions internationales dans la catégorie féminine. L’affaire met en cause – et c’est nouveau – la conformité de normes émises par une fédération sportive au regard de la Convention. En outre, elle permet de revenir sur l’interprétation de plusieurs droits garantis par la CEDH sous le prisme des compétitions sportives et de la discrimination. En effet la requérante estime être victime d’une violation de l’article 3 qui porte sur l’interdiction des traitements inhumains et dégradants, de l’article 8 qui concerne le droit au respect de la vie privée, séparément et combinés avec l’article 14 qui interdit les discriminations. Elle se plaint en effet d’être discriminée sur le fondement du sexe dans la mesure où le règlement sportif entrainerait un effet prétendument discriminatoire à l’égard des athlètes femmes présentant une « différence de développement sexuel » pour accéder aux compétitions sportives féminines. Elle invoque également les articles 6 (droit à un procès équitable) et 13 (droit à un recours effectif) de la Convention. Cette jurisprudence sur la discrimination fondée sur le genre devrait rapidement se développer du fait que les athlètes transgenres se voient aujourd’hui de plus en plus souvent opposer par les fédérations sportives une interdiction de participer à certaines compétitions sportives féminines, notamment les compétitions d’athlétisme.
La Cour a aussi statué sur la violation de l’article 1 du Protocole 12 (interdiction générale à la discrimination) dans une affaire de compétition sportive Negovanovic et autres c. Serbie du 25 janvier 2022. Elle a estimé que s’il était légitime pour les autorités serbes de « mettre l’accent dans leur système de récompense sur les meilleures performances sportives et les compétitions les plus importantes, traiter différemment les requérants du fait de leur handicap n’avait aucune justification objective et raisonnable »[53].
Parallèlement à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, la Cour de Luxembourg développe elle aussi une jurisprudence favorable aux sportifs professionnels, tout en tâchant de prendre en considération la spécificité des activités sportives de nature économique.
B. La Cour de justice et la reconnaissance expresse d’une spécificité sportive pour les activités sportives de nature économique
Les affaires sportives portées devant la Cour de justice concernant le droit de l’Union sont peu nombreuses mais elles sont significatives du fait de l’importance sociale considérable que revêt l’activité sportive en Europe. La Cour a considéré que le droit de l’Union européenne, notamment les droits de la concurrence et du marché intérieur, étaient applicables au sport nonobstant sa spécificité, dans la mesure où il constitue une activité économique[54]. Les organisations sportives ont vivement critiqué le concept « d’activité économique », en raison de son caractère trop vague et de l’incertitude juridique qu’il engendre quant à l’applicabilité du droit de l’Union aux activités sportives. L’arrêt Meca-Medina[55] de la CJCE tente de clarifier la formule pour permettre aux fédérations sportives de comprendre les mesures qu’elles seraient susceptibles d’adopter sans crainte de violer le droit communautaire. Il précise ainsi que « si l’activité sportive en cause entre dans le champ d’application du traité, les conditions de son exercice sont alors soumises à l’ensemble des obligations qui résultent des différentes dispositions du traité ». L’on comprend que cette phrase – ambiguë il faut bien l’avouer– n’ait pas convaincu les fédérations sportives européennes ainsi que le CIO et la FIFA qui y voient une régression de leur autonomie par rapport à la jurisprudence antérieure de la Cour, dans la mesure où, d’une part, la plupart des activités sportives ont une dimension économique et rentrent ainsi dans le champ d’application des traités de l’Union et, d’autre part, la notion de « conditions d’exercice » d’une activité sportive peut englober des questions, comme ici la règlementation anti-dopage, relevant jusqu’alors de la compétence des organisations sportives.
Cette affaire concernait deux athlètes professionnels qui pratiquaient la natation qui avaient été testés positifs à l’occasion de de la coupe du monde de cette discipline et sanctionnés par la fédération internationale de Natation (FINA) par une décision de suspension de quatre ans, sanction réduite par le TAS à deux ans. Ceux-ci ont saisi le Tribunal puis la Cour de Justice en mettant en cause la compatibilité de certaines dispositions réglementaires adoptées par le CIO et mises en œuvre par la FINA, ainsi que certaines pratiques relatives au contrôle du dopage, avec les règles communautaires de concurrence et de libre prestation de service.
La Cour de justice a considéré nécessaire de prendre en considération la spécificité́ du sport dans le sens où elle admet que les règles sportives qui ont pour effet de restreindre la concurrence ne constituent pas forcément une violation du droit de la concurrence si elles sont justifiées par l’organisation et le bon déroulement d’un sport de compétition et proportionnées à l’intérêt sportif légitime poursuivi. La nécessité de vérifier la proportionnalité implique toutefois celle de tenir compte des caractéristiques de chaque affaire.
En l’occurrence, la Cour admet que le caractère répressif de la réglementation antidopage litigieuse et l’importance des sanctions applicables en cas de violation de celle-ci peuvent fausser la concurrence au cas où des sanctions infondées conduiraient à ce qu’un athlète puisse être exclu de manière injustifiée d’une compétition, et donc à fausser les conditions d’exercice de l’activité sportive en cause. Une réglementation pourrait effectivement s’avérer excessive, d’« une part dans la détermination des conditions permettant de fixer la ligne de partage entre les situations relevant du dopage passible de sanctions et celles qui n’en relèvent pas, et d’autre part dans la sévérité desdites sanctions ». En l’espèce, la Cour rejette le pourvoi car il ne lui apparait pas que le seuil de tolérance pour le dopage imposé aux sportifs par la règlementation litigieuse aille au‑delà de ce qui est nécessaire afin d’assurer le déroulement et le bon fonctionnement des compétitions sportives.
La portée de cet arrêt a été contestée dans la mesure où il conduit à restreindre la liberté des fédérations sportives pour fixer les règles antidopage. À vrai dire presque toutes les mesures disciplinaires sportives seront désormais susceptibles d’être contestées sous l’angle du droit communautaire de la concurrence. En témoigne l’arrêt du Tribunal qui confirme que les règles de l’Union internationale de patinage prévoyant des sanctions sévères contre les athlètes qui participent à des épreuves de patinage de vitesse non reconnues par elle sont contraires aux règles de l’Union en matière de concurrence[56]. Comme le note l’UEFA, une telle situation constitue « du pain béni pour les juristes, mais un véritable cauchemar pour les instances sportives et leurs responsables »[57].
La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne a également joué un rôle essentiel en matière de discrimination fondée sur la nationalité au regard de la libre circulation des joueurs professionnels. Saisie à titre préjudiciel d’un litige entre un club belge et un footballeur professionnel français relatif à son transfert, la Cour a considéré dans l’arrêt Bosman[58] que, non seulement le droit de l’Union s’applique au sport en tant qu’il constitue une activité économique sauf situation particulière, mais que la clause de nationalité prévue par les règlements de football, particulièrement ceux de l’UEFA, qui restreint le nombre de footballeurs professionnels étrangers admis à participer aux compétitions, qu’il soient ressortissants de la Communauté européenne ou non, constitue une atteinte à la libre circulation des sportifs professionnels car elle est disproportionnée au regard des fins qu’elle s’assigne. Elle a également considéré dans cette affaire qu’il était illégal de permettre à un club de refuser de vendre un joueur, même lorsque son contrat a pris fin. Cette jurisprudence fondamentale a bouleversé le monde sportif et a donné naissance à la pratique des libres transferts, permettant ainsi la libre circulation des joueurs dans l’Union européenne. En conséquence les clauses de nationalité pour la composition des équipes professionnelles sont devenues illicites, de même que les indemnités de transfert pour les transferts internationaux de joueurs ressortissants de l’Union à la fin de leur contrat. La jurisprudence Bosman s’est appliquée à d’autres sports et aux joueurs de tous les États ayant conclu un accord d’association avec l’Union européenne[59].
C’est également en se fondant sur la libre circulation des travailleurs qu’elle a estimé que les sportifs ressortissants d’un autre État membre doivent bénéficier des mêmes avantages sociaux que ceux octroyés aux nationaux[60].
En revanche d’autres règlementations sportives ont été jugées conformes à la libre prestation de service ou à la libre circulation des travailleurs comme celle concernant la sélection des athlètes professionnels pour pouvoir participer à une compétition sportive internationale de haut niveau qui n’oppose pas des équipes nationales, dès lors qu’elles découlent d’une nécessité inhérente à l’organisation d’une telle compétition[61] ou celle relatives au transfert de joueurs si elles sont justifiées par des motifs non économiques, intéressant uniquement le sport en tant que tel[62].
En conclusion, si les organisations européennes ont multiplié les efforts pour tenter de prévenir les manipulations sportives ou les violences dans les stades et ont remporté quelques succès, beaucoup reste encore à faire pour renforcer l’éthique sportive et les droits des athlètes. La jurisprudence de la Cour européenne et celle de la Cour de justice restent à cet égard embryonnaires, mais elles ne manqueront pas de se développer dans la mesure où les athlètes n’hésitent plus à les saisir. Au demeurant, tant la spécificité sportive et l’autonomie des organisations sportives défendue avec ardeur par celles-ci ne devraient plus entraver le développement de la jurisprudence des deux cours européennes afin de développer les droits des sportifs professionnels. Mais des efforts restent à faire pour réduire l’écart souvent constaté entre le discours des fédérations et des États et la réalité de leurs comportements. Réaliser l’idéal de l’Olympisme reste encore un défi pour le sport européen, tant il est difficile de concilier en matière sportive discipline, spectacle, industrie et droits des sportifs.