Traditionnellement, l’asile désigne un lieu où une personne pourchassée pour des motifs divers peut y trouver refuge et recevoir aide et protection[1]. L’étymologie du mot provient du grec « asylon » qui signifie « lieu sacré, protégé, inviolable ». Pour l’ancien directeur de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (« OFPRA »), Pascal Brice, il s’agit d’un trésor qu’il faut chérir[2]. Autrement dit, le droit d’asile est un patrimoine universel et précieux qui garantit à toute personne persécutée de pouvoir être accueillie et protégée. Il peut paraître a priori incongru de se demander si le Pacte sur la migration et l’asile, rendu public en septembre 2020 par la Commission européenne, peut mettre en péril le droit d’asile : ce droit n’est-il pas protégé par l’Union européenne au plus haut point, c’est-à-dire dans le cadre de la Charte européenne des droits fondamentaux ? L’ordre juridique de l’Union européenne ne doit-il pas aussi garantir le respect de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative aux réfugiés ? Et à en croire les affirmations contenues dans les propositions de textes issues du Pacte et les discours de la Commission européenne[3], le Pacte ne remet absolument pas en question ce droit fondamental mais au contraire, garantit sa protection. Ursula Von Leyden n’aurait-elle pas elle-même lancé avec emphase le jour de son investiture devant le Parlement européen le 16 juillet 2019 : « Nous devons préserver le droit d’asile et améliorer la situation des réfugiés. (..) Nous avons besoin d’empathie et d’une action résolue »[4]. Toutefois, à rebours des discours, le Pacte repose sur une vision extrêmement négative et dévalorisante de la figure du demandeur d’asile. Il légitime des idées dangereuses, reprenant une rhétorique des partis de droite et d’extrême droite des États membres de l’UE selon lesquels la plupart des demandeurs d’asile seraient au mieux des migrants économiques[5] ou, le cas échéant, des terroristes.
Le droit d’asile est marqué par une contradiction originelle : s’il est bien garanti par des normes juridiques fondamentales, il n’est défini précisément, ni par le droit de l’UE, ni par la Convention de Genève. Cette dernière ne précise pas les contours de ce droit, se limite à définir la notion de réfugié et impose quelques obligations internationales aux États membres dont l’interdiction des expulsions et des refoulements. En outre, le droit d’entrer et de séjour des étrangers – ce qui inclut aussi les demandeurs d’asile – reste l’apanage des États[6]. Les textes internationaux proclament le droit d’asile mais en même temps reconnaissent aux États le droit de réglementer les conditions d’accès des demandeurs à leurs territoires. Quant au droit de l’Union, s’il garantit le droit d’asile dans le respect des règles de la Convention de Genève et du protocole du 31 janvier 1967 relatif au statut des réfugiés, c’est conformément au TUE et au TFUE, et cette dernière précision est importante car elle révèle que le droit de l’Union entend définir sa propre conception du droit d’asile ! Depuis plusieurs décennies, nous nous trouvons dans la situation suivante : le droit fondamental à l’asile est proclamé et il existe un statut de réfugié comportant des droits multiples, mais les possibilités d’entrer légalement sur le territoire sont sévèrement encadrées, les demandeurs n’ont pas de possibilité de choisir l’État de refuge et sont soumis à la rigueur des règles du règlement Dublin qui orientent les demandeurs d’asile vers l’État qui sera responsable du traitement de leur demande. La pandémie de Covid 19 a aggravé cette situation, les États membres ayant durci leur surveillance et leurs contrôles aux frontières et l’on constate une baisse des demandes d’asile de 32,6 % en 2020[7].
Nous pouvons malheureusement affirmer que le droit d’asile était, avant même l’intervention des propositions issues du Pacte, déjà en péril, non seulement de jure c’est-à-dire dans la conception que retiennent les normes européennes de ce droit que de facto, au niveau de la mise en œuvre concrète de ce droit par les États membres !
Dans ce contexte déjà peu favorable, il fait sens de s’interroger, au-delà des discours bien-pensants, sur la prégnance de ce droit fondamental. Autrement dit, le Pacte lui porte-t-il un nouveau coup de canif ou bien lui donne-t-il le « coup de grâce »[8] ? L’essence même de ce droit fondamental, son noyau dur, son contenu essentiel[9] est-il sauvegardé ? Ces questions en amènent de nouvelles autour de la substance de ce droit fondamental. Quel pourrait être son noyau intangible, c’est-à-dire sa partie essentielle, dont le contenu ne saurait être altéré. Résiderait-il dans le simple maintien formel en droit de l’UE d’un statut de réfugié[10] ou s’étendrait-il à la nécessité de vérifier l’existence de voies d’accès effectives des candidats au statut de réfugié sur les territoires où ils souhaitent déposer leur demande ou encore s’assurer que les conditions d’entrée de ces personnes sur le territoire ne sont pas, dans les faits, impossibles ?
La présente contribution n’a pas pour prétention d’appréhender toutes les propositions de normes issues du Pacte européen sur la migration et l’asile à l’aune de la question du maintien du droit d’asile. Il y aurait notamment beaucoup à dire sur la perception du demandeur d’asile[11]. L’attention est ici portée sur deux phases essentielles dans le parcours d’un demandeur d’asile : la question de l’accès au territoire européen (Partie I) et l’accès à la procédure d’asile (Partie II).
Partie I – Les voies d’accès aux territoires des États: une Europe inaccessible
Ce premier point vise à appréhender la question de l’accès légal de demandeurs d’asiles en Europe à partir de leur État d’origine, permettant aux personnes en quête de protection d’éviter d’entreprendre des aventures périlleuses, parfois au détriment de leur vie[12]. Il pose la question sensible de la reconnaissance d’un visa humanitaire européen (A) et celle de l’ouverture de corridors humanitaires ou d’autres routes légales (B).
A. La disparition du visa humanitaire européen
L’on se souvient des débats récents, notamment devant les prétoires des Cours européennes, sur l’opportunité de consacrer un visa humanitaire européen. Le juge de l’Union a estimé que seul un acte de droit européen fondé sur l’article 79 §2a) TFUE pourrait introduire un tel dispositif en droit positif européen. Corrélativement, en l’absence d’un tel acte, les États membres ne sont pas tenus, en vertu du droit de l’Union, d’accorder un visa humanitaire aux personnes qui souhaitent se rendre sur leur territoire dans l’intention de demander l’asile, ils demeurent libres de le faire sur la base de leur droit national[13]. Suite à cette prise de position défavorable, le Parlement européen s’est saisi de la question et a suggéré dans un rapport d’initiative de décembre 2018 l’adoption d’un règlement définissant des procédures et conditions permettant à un État membre de délivrer un visa humanitaire européen dans les ambassades et les consulats des États membres dans les États tiers aux personnes sollicitant une protection internationale, en vue de permettre à ces personnes d’entrer sur le territoire de l’État membre qui délivre le visa aux seules fins d’y présenter une demande de protection internationale[14]. Succombant à une inertie coupable, le Pacte se désintéresse de cette question et semble enterrer le projet de « visa humanitaire européen ».
Une telle proposition, même si elle n’aurait vraisemblablement pas reçu l’appui d’un nombre suffisant d’États membres, aurait non seulement permis de protéger plusieurs droits fondamentaux mais aussi coupé l’herbe sous le pied des passeurs. En instaurant une voie d’entrée légale humanitaire européenne, elle aurait pu aussi éviter aux personnes concernées de devoir se soumettre aux procédures de filtrages à la frontière et au traitement de leurs demandes d’asile à la frontière qui, comme nous le verrons dans notre Partie II, s’avère particulièrement complexe et éprouvante pour les personnes concernées.
B. L’incitation à recourir à des parrainages privés dans le cadre d’une réinstallation
La recommandation sur les voies légales d’accès à une protection dans l’UE : promouvoir la réinstallation, l’admission humanitaire et d’autres voies complémentaires[15] comporte, en plus des programmes classiques de réinstallation de réfugiés en coopération avec le HCR au sein desquels les États membres sont invités à participer soit de manière active, en tant que membre d’un consortium, soit indirectement par voie de soutien financier[16], un volet visant à promouvoir de nouvelles voies d’accès légal à l’UE par le biais de partenariats privés.
A la différence des programmes de réinstallation classique – où ce sont les États membres qui prennent en charge les personnes nécessitant un besoin de protection-, le développement de partenariats privés vise à mobiliser et à dynamiser des initiatives spontanées émanant de la société civile.
L’intention est de s’inspirer des programmes de parrainage mis en place dans certains États membres[17], susceptibles à la fois de créer des corridors humanitaires permettant d’acheminer de manière sûre les personnes en quête de protection depuis leurs pays d’origine ou depuis un autre pays tiers mais aussi de développer les possibilités d’accueil et d’intégration de ces personnes dans les États membres. Ces parrains seraient des groupes de particuliers, des organisations à but non lucratif ou des organisations confessionnelles. Ils pourraient jouer un rôle structuré en accueillant et en intégrant les personnes ayant besoin d’une protection internationale (pt 23). Même si la recommandation demeure encore floue, elle souligne le caractère totalement facultatif de ces programmes[18] et délègue aux États le soin de définir les modalités concrètes de ces parrainages[19], il convient de souligner la volonté de la Commission de créer un cadre européen issu de la « soft law », promouvant une approche à l’échelle de l’UE « qui soit fondée sur l’expérience acquise par les États membres en la matière et qui associe l’EASO »[20]. La recommandation souligne les avantages indéniables de telles initiatives qui permettent à des parrains de participer à toutes les étapes de la procédure d’admission, depuis l’identification des personnes ayant un besoin de protection internationale jusqu’à leur transfert vers l’État-membre concerné et supportent les coûts afférents aux efforts d’accueil et d’intégration de ces personnes[21].
Cette proposition paraît a priori séduisante car elle favorise la solidarité et la protection des droits fondamentaux[22]. Elle est aussi réaliste car elle vise à trouver les ressources là où elles se trouvent véritablement. Toutefois, elle comporte le risque de déplacer toujours plus la responsabilité des personnes en quête de protection de l’État vers les associations humanitaires, les ONG ou des structures confessionnelles. Elle peut inciter les États à toujours plus se désengager de leurs obligations à l’égard des demandeurs d’asile, se déchargeant sur des organismes privés ou œuvres de bienfaisance, à l’instar du sauvetage en mer. On peut y voir l’amorce d’une « privatisation » complète des modalités de prise en charge des réfugiés potentiels. En outre, la mise en place d’une sorte de délégation de compétences quant à l’identification des personnes susceptibles de bénéficier d’une protection de l’État interroge : les parrains n’auraient-ils pas une tendance naturelle à sélectionner leurs filleuls sur la base de critères subjectifs propres, notamment d’ordre confessionnel[23] ? De la même manière, l’on pourrait douter de l’objectivité de certains États membres dans la définition de ces critères, certains affichant sans complexe leur volonté discriminatoire en faveur des personnes chrétiennes ou blanches de peau. En bref, ces parrainages ne comporteraient-ils pas le risque d’une dérive « d’asile choisi »[24] ? Relevons en tout cas, que cette voie d’accès légal dans l’UE suscite l’engouement de la Commission qui pourrait en faire une voie principale pour le dépôt des demandes d’asile.
Partie II – La généralisation des procédures de filtrage et de demandes d’asile à la frontière
La Commission martèle à plusieurs reprises son intention de mettre en place une approche globale des migrations et sa volonté de faire de la frontière extérieure un « lieu où l’Union doit combler les écarts entre les contrôles aux frontières extérieurs et les procédures d’asile et de retour »[25]. Pour ce faire, elle entend associer une logique de contrôle à un dispositif de privation de liberté couplé à un mécanisme de renvoi. Selon elle, ces dispositifs seraient bénéfiques pour le système de l’asile en général car ils offriraient une meilleure gestion des demandes d’asile abusives et inacceptables à la frontière et permettraient de traiter plus efficacement les demandes valables à l’intérieure des frontières[26].
C’est une véritable usine à gaz[27] qui est ici imaginée, qui soumet les ressortissants de pays tiers qui se présentent en principe à une frontière extérieure d’un État membre de l’Union européenne à une phase de filtrage (A), éventuellement suivie d’une phase ouvrant le déclenchement d’une procédure d’asile à la frontière (B).
A. La phase de filtrage, fiction d’une non-entrée ou d’une pré-entrée
La procédure de filtrage à la frontière est conçue comme « nouvel outil de gestion de la migration »[28]. Son but est avant tout le contrôle, y compris sanitaire, l’identification le prélèvement des données biométriques des personnes qui se présentent aux frontières extérieures de l’Union européenne sans remplir les conditions d’entrée dans l’UE. Après un rapide balayage des personnes concernées par une telle procédure (1), il s’agira de se demander quel est le statut qui leur est applicable (2).
1. Les personnes soumises au filtrage
Toutes les personnes qui franchissent illégalement les frontières de l’UE ou celles qui sont débarquées dans l’UE suite à une opération de recherche ou de sauvetage sont visées par le filtrage. Il inclut par conséquent les personnes qui demandent une protection internationale à la frontière[29]. Comme l’indique à juste titre Lyra Jakulevičienė[30], ce qui est préoccupant, c’est que les demandeurs d’asile ne constituent plus un groupe privilégié de migrants en Europe, comme si la ligne fine qui existe dans le droit international et de l’UE entre les personnes demandant une protection internationale et les autres migrants.
Or, cette différenciation a sa raison d’être ! Elle suit une logique juridique, car les personnes qui demandent une protection sont soumises à un traitement spécial en ce qui concerne l’entrée et le séjour dans le pays d’accueil.
2. Le statut et les conditions d’accueil des demandeurs soumis à une procédure de filtrage
La proposition de « règlement filtrage » insère une fiction juridique qui est celle de la phase de filtrage ou phase « pré-entrée » sur le territoire d ‘un État membre de l’UE. Il s’agit d’une sorte de zone de « no man’s land » établie dans des lieux proches de la frontière extérieure ou bien à l’intérieur du territoire d’un État membre[31]. Dans cette zone, le droit de l’UE semble s’appliquer de manière plutôt dégradée. Cette phase dure cinq jours au maximum, ce qui est un délai extrêmement court pour identifier les besoins en protection. La proposition de règlement ne répond à aucun moment à la question de savoir si les personnes en phase de filtrage sont ou pas privées de liberté[32].
Le règlement n’est pas non plus clair sur le point de savoir si les demandeurs d’asile pourront bénéficier des conditions d’accueil et de garanties procédurales mais semble opter pour une réponse négative[33]. Cette absence d’application du droit commun applicable aux demandeurs d’asile a pour conséquences qu’ils ne jouissent pas systématiquement du droit à être informés des procédures susceptibles de les concerner[34] et que l’Union européenne ou l’État dans lequel ils souhaitent entrer n’est pas tenu de leur octroyer les conditions matérielles d’accueil de droit commun (accès à un logement, à des soins médicaux, au HCR, à une liberté de circulation). Notons que des procédures similaires ont été mises en place en Australie, appelées le « processus de sélection améliorée ». Elles sont très critiquées[35] car elles sont susceptibles d’exclure ceux qui ont des demandes légitimes de protection en raison d’entretiens trop courts, d’absence de conseils juridiques, d’absence de compte rendu écrit des procédures, etc… Relevons aussi l’existence d’expériences similaires d’identification rapide, d’enregistrement et de prise d’empreintes digitales dans les hotspots en Grèce et en Italie au lendemain de la « crise » migratoire de 2015-2016 en Europe. Ces initiatives européennes ont généré l’apparition de camps à ciel ouvert dont les conditions d’accueil sont dans l’ensemble particulièrement déplorables.
Ces zones d’attente, de filtrage ou de « pré-entrée », pourraient-elles devenir des zones de non droit ? Si le droit commun du demandeur d’asile y est appliqué de manière quelque peu altérée, la Charte des droits fondamentaux trouve toutefois à s’y appliquer pleinement, ainsi que les droits fondamentaux nationaux ! Ce n’est pas parce que le droit de l’UE a inventé une fiction de pré-entrée que les Etats membres et l’Union devraient se dispenser de respecter les droits fondamentaux, ce que conçoit d’ailleurs la Commission[36]. Ces zones de filtrages font intégralement partie du territoire de l’UE et les obligations qui pèsent sur l’UE en matière de protection des droits fondamentaux sont applicables[37].
La Cour de justice a d’ailleurs déjà contrôlé les conditions de rétention de demandeurs d’asile dans la zone frontalière de Röszke, située entre la Hongrie et la Serbie. Elle a considéré que le confinement des demandeurs d’asile pouvait être assimilé à une rétention[38], celle-ci s’analysant au sens du droit de l’UE comme « une mesure coercitive qui prive [un] demandeur de sa liberté de mouvement en l’obligeant à rester en permanence dans un périmètre restreint et clos ». Par ailleurs, les États doivent mettre en place un mécanisme de contrôle indépendant permettant de garantir le respect des droits fondamentaux pendant la phase de filtrage. A cet effet, l’article 7 du règlement « filtrage » dispose que : « toute allégation de violation des droits fondamentaux doit faire l’objet d’une enquête ». Nous ne pouvons qu’être sceptiques quant à la mise en place d’un tel contrôle, ce type de mécanisme étant souvent pointé du doigt pour insuffisance de transparence[39].
L’article 14 indique qu’au bout de ces 5 jours, les personnes se verront soit orientées vers une procédure d’asile si elles ont demandé une protection internationale, soit vers une procédure de retour, si elles ne remplissent pas les conditions d’entrée de droit commun[40]. Suite à cette procédure dite de filtrage, une procédure de demande de protection à la frontière peut avoir lieu.
B. Les procédures d’asile à la frontière
La proposition de règlement « procédure »[41] met en place une nouvelle procédure d’asile à la frontière, pouvant être déclenchée dès la fin du filtrage. Comme pour la phase de filtrage, elle s’applique en principe à la frontière extérieure de l’Union mais pas seulement[42]. Sa caractéristique essentielle réside dans l’idée qu’il s’agit d’une procédure accélérée d’une durée de 12 semaines maxi. Si la procédure devait durer davantage, les demandeurs seraient autorisés à pénétrer sur territoire de l’État membre concerné. En mettant en place cette procédure, à nouveau, l’intention de la Commission est clairement exprimée. Il s’agit en effet « d’évaluer rapidement les demandes d’asile abusive ou celles présentées à la frontière extérieure par des demandeurs provenant de pays tiers présentant un faible taux de reconnaissance afin de procéder rapidement au retour des personnes concernées »[43]. La Commission estime que les demandes d’asile ne constituent pas un droit automatique d’entrer dans l’Union[44]. Cette procédure comporte deux volets essentiels : la création d’une zone de transit (1) dans laquelle se trouveront les personnes en attente de l’examen d’une demande d’asile et un dispositif de filtrage par nationalité visant à faire un tri rapide entre les personnes éligibles à l’asile et celles qui ne le seraient pas (2).
1. La création d’une zone de transit aux frontières extérieures la crainte d’une pérennisation [Office1] des camps aux frontières extérieures de l’UE?
Notons d’emblée que le texte est très flou sur les garanties accordées aux personnes pendant la durée du traitement de leur demande. L’article 41§11 de la proposition de règlement « procédure » indique que « les procédures sont d’une durée aussi courte que possible » tout en permettant un examen complet et équitable des demandes. Ceci étant, le texte indique aussi que les personnes sont accueillies au sein de la zone de transit ou à proximité de celle-ci conformément à la directive relative aux conditions d’accueil[45].
La question de la privation de liberté des personnes concernées se pose aussi. Le texte est à nouveau très évasif. Il indique que : « Les États membres devraient pouvoir exiger des demandeurs d’une protection internationale qu’ils restent à la frontière extérieure ou dans une zone de transit aux fins de l’évaluation de la recevabilité de leur demande »[46]. Cette privation de liberté pose la question de la pérennisation de modèles du type « camp de la Moria » sur l’île de Lesbos qui connait de très grandes difficultés d’accueil (saturation rapide, absence de garantie suffisante malgré l’obligation de respecter les conditions de la directive accueil, absence du HCR, etc..). Cette préoccupation est d’autant plus grande que le Pacte ne vise pas à remettre en question le règlement Dublin et maintien les critères ordinaires de détermination de l’État membre responsable d’une demande d’asile, aboutissant à institutionnaliser et à développer une situation intenable déléguant principalement aux États du sud de l’Europe la responsabilité de l’accueil des demandeurs d’asile ainsi que du traitement de leur demande et de leur intégration dans leurs sociétés[47]. Surtout, la Commission propose de maintenir les critères de détermination de l’Etat membre responsable du traitement de la demande d’asile au titre du règlement Dublin – et donc de maintenir le critère de l’Etat de première entrée – et n’envisage pas de système de relocalisation des demandeurs d’asile dans le cadre des procédures à la frontière. C’est pour cette raison que le Comité européen économique et social se demande si un tel dispositif n’aura pour effet de « transformer en plates-formes où ces demandeurs d’asile seront détenus ou en attente de renvoi »[48].
2. Le filtrage par nationalité
L’un des dispositifs clés du Pacte sur la migration et l’asile, développé dans le cadre de la proposition de règlement « procédure » vise à instaurer un filtrage par nationalité censé augmenter le nombre de motifs d’accélération des procédures. Il s’agirait de soumettre à un examen rapide les demandes d’asile ayant peu de chances d’être acceptées et pour lesquelles leurs auteurs seraient soumis à une procédure de retour immédiate. Ainsi, les États sont enjoints d’accélérer le retour à la frontière des demandeurs ressortissants de pays tiers pour lequel la proportion des décisions accordant une protection internationale est inférieure à 20% du nombre total des décisions adoptées pour ce pays tiers[49].
L’objet de la réforme est clairement d’envoyer un message à l’égard des passeurs et des demandeurs d’asile originaires de pays présentant un faible taux de reconnaissance. Ces derniers sont accusés de mettre sous pression les systèmes d’asile, d’accueil et de retour des États membres en accroissant la charge administrative, au détriment de l’octroi de la protection à ceux qui en ont réellement besoin, et d’être à l’origine d’un phénomène persistant de déplacements ultérieurs au sein de l’UE[50].
Cette proposition a fait l’objet de nombreuses critiques. Le Comité économique et social européen la qualifie de solution « bancale »[51]. En effet, le filtrage par nationalité semble contraire à l’article 3 de la Convention de Genève selon lequel « Les États co-contractants appliqueront les dispositions de cette convention aux réfugiés sans discrimination quant à la race, la religion ou le pays d’origine ». En outre, des doutes et des confusions par rapport au taux et au mode de calcul de ces 20% peuvent légitimement se poser[52]. Particulièrement, le taux de reconnaissance varie considérablement d’un État membre à un autre et seule une approche uniforme des taux, éventuellement menée par l’Agence européenne de l’asile, pourrait permettre d’éviter cet écueil.
* * *
Un examen, même partiel, du Pacte sur la migration et l’asile permet de conclure à l’existence d’une forte menace pesant sur le contenu essentiel de ce droit si les propositions sont en l’état reprises par le législateur européen. Sur le papier, il existe toujours des statuts protecteurs – même s’ils font l’objet de grignotages évidents – mais l’accès à ces statuts devient si complexe qu’il pourrait décourager bon nombre de personnes éligibles.
C’est donc, au-delà même des textes, l’esprit général du dispositif qui inquiète et pose question : des discours dissuasifs, des procédures d’asile d’une opacité telle que même les experts s’y perdent, la multiplication des mesures coercitives à l’égard des ressortissants de pays tiers (méfiance, suspicions, pénalisation, privations de libertés, risques de violences aux frontières etc..) rendent compte d’une approche européenne bien déplorable de la migration et de l’asile. Pour finir, méditons sur la parole qu’aurait prononcée Jacques Delors aux représentants des églises lors d’une entrevue en 1992 : « Si nous ne parvenons pas à donner une âme à l’Europe d’ici 10 ans, nous serons foutus ».