L’acquis de l’Union européenne en matière de migration légale consiste actuellement en sept directives adoptées entre 2003 et 2016. Elles couvrent les trois principales catégories de la migration régulière – le regroupement familial, l’immigration des étudiants et des chercheurs et enfin celle aux fins de l’emploi[1]. Nous tenons à préciser que l’utilisation interchangeable des termes « migration illégale » et « migration irrégulière », souvent présente dans le discours quotidien, même parmi les experts en la matière, n’est pas appropriée pour désigner l’immigration des ressortissants des pays tiers qui demandent une protection internationale et dans ces efforts traversent les frontières de manière irrégulière[2].
Cependant, cet acquis n’a pas résisté à l’épreuve du temps. Bien que le volet ‘migration régulière’ soit une expression de l’idée de l’immigration choisie, et a pour but de faciliter l’arrivée des personnes jugées utiles pour les sociétés européennes, la législation pertinente de l’UE fait l’objet de nombreuses critiques. Le cadre juridique de l’Union en matière de l’immigration légale peine à assurer les conditions de séjour uniformes pour les différentes catégories d’individus relevant de cette ‘immigration choisie’, ce qui contredit les objectifs de l’Union européenne – attirer les talents étrangers, et faire en sorte que leurs activités contribuent au développement économique de l’Union, tout en favorisant une meilleure cohérence entre États membres. Les possibilités de mobilité intra-UE représentent un défi à part entière.
Face à ce cadre légal dépassé par le temps, la Commission européenne se concentre sur deux objectifs : terminer les travaux sur la refonte de la directive « Carte bleue » et développer les voies légales d’immigration conformément aux besoins de l’UE en matière de qualifications de la main d’œuvre et de lancer des partenariats destinés à attirer les talents.
Dans notre analyse de la réforme entamée par la Commission, nous allons nous pencher sur trois axes de l’action de l’UE en matière d’immigration régulière : la simplification des procédures en vue de faciliter l’admission au séjour (Partie I) ; rendre l’Union plus attractive pour les talents provenant de l’étranger, et faciliter la mobilité intra-UE (Partie II), et l’intention de développer et de maintenir en place de véritables instruments uniques de l’UE en matière d’immigration régulière (Partie III).
Partie I – Le labyrinthe de l’admission légale dans un État membre
Les efforts pour attirer les talents, reposent sur deux piliers – la directive « Carte bleue » pour les travailleurs hautement qualifiés et la directive « Étudiants-chercheurs » relative aux activités académiques des étrangers. Elles ont pour objectif de stimuler l’innovation au sein de l’UE. Pourtant, les deux directives souffrent d’un même écueil – l’approche trop restrictive des États membres, ce qui entrave leur efficacité.
A. Travailleurs hautement qualifiés – la compétitivité de l’Union entre innovation et craintes sécuritaires
La limitation du champ d’application de la directive « Carte bleue » a donné lieu à de nombreuses critiques. Sont exclus de son application les catégories de personnes qui pourraient remplir d’autres critères d’admission – tout bénéficiaire ou demandeur d’une forme de protection internationale, quelle qu’elle soit, ainsi que les membres de la famille de citoyens de l’Union ayant exercé leur droit à la libre circulation conformément à la directive 2004/38/CE. Le but de ces exclusions est, d’une part, la nécessité de protéger le marché de travail des États membres, et d’autre part, d’éviter le chevauchement des champs d’application des diverses directives régissant l’un des aspects de l’immigration régulière.
Cependant, si l’exclusion des demandeurs de protection internationale peut être comprise en raison de leur statut juridique incertain, on peut légitimement se poser la question suivante : si la directive « Carte bleue » est conçue comme un moyen de pallier le manque de main d’œuvre hautement qualifiée, et si les États membres, conformément à la directive, disposent de moyens pour éviter d’accorder la carte bleue[3] – pourquoi soustraire de son champ d’application les bénéficiaires de protection internationale qui remplissent les conditions exigées par la directive ? Cette catégorie d’individus séjourne sur le territoire d’un État membre de manière régulière, vraisemblablement avec une intention de s’y installer. De ce fait, il ne semble pas y avoir de contre-indication au cumul des statuts de ces individus. De plus, aucune caractéristique du dispositif carte bleue européenne, ni d’une quelconque forme de protection internationale n’est de nature à rendre impossible le cumul des deux statuts. Ceci est encore plus pertinent étant donné l’afflux des réfugiés ukrainiens, dont la grande partie est probablement titulaire d’un diplôme universitaire. Il en va de même pour les personnes relevant du champ d’application de la directive 2004/38/CE. Conformément à la législation actuellement en vigueur, les membres de famille visés par cette directive disposent d’un droit de séjour dérivé qui dépend de la survie de leur relation avec le citoyen de l’UE qu’ils accompagnent et, en règle générale, il peut y être mis fin en cas d’évolution substantielle de cette relation.
L’amendement du Parlement, qui permettrait aux demandeurs de protection internationale d’être titulaires de la carte bleue européenne (sous réserve de suspension de leur application de protection internationale), n’a pas été inclus dans le champ d’application élargi de la directive « Carte bleue ». Ce refus remet en question l’existence de la valeur ajoutée de la réforme.
La situation a aussi évolué au regard des critiques du seuil salarial minimal en tant que critère d’admission. Selon le texte de la directive actuellement en vigueur, ce seuil salarial est au moins égal à 1,5x le salaire brut annuel moyen de l’État membre concerné. D’un côté, ce critère d’admission a été jugé trop restrictif. De l’autre côté, la proposition initiale de la Commission de sa réduction à 1x le salaire brut moyen au minimum et à 1,4x ce montant au maximum semble être un compromis politique. Cette suggestion de baisser le seuil salarial n’a pas été bien reçue de la part des certains membres du Conseil, par crainte de faciliter l’arrivée des travailleurs peu ou moyennement qualifiés. L’existence même de ce seuil salarial, en principe plus élevé que le salaire moyen dans l’État membre concerné peut être examinée sous deux angles. D’abord, comme un moyen de protection contre une sorte de « dumping social », où les employeurs auraient la possibilité de recourir à ce dispositif afin de baisser les coûts d’une masse salariale hautement qualifiée en employant des ressortissants de pays tiers et en leur offrant une rémunération inférieure au salaire moyen du secteur concerné. Ensuite, comme un mécanisme discriminatoire contre les travailleurs étrangers concernés, puisque l’employeur pourrait se tourner vers des travailleurs locaux non soumis à cette condition.
B. Les étudiants et les chercheurs – Un capital encore mal exploité
En facilitant l’entrée et le séjour des ressortissants de pays tiers relatifs à l’enseignement supérieur, l’UE crée une réserve potentielle des travailleurs hautement qualifiés. Cette stratégie reflétée par la directive « Étudiants-chercheurs » est la manifestation d’une ‘bataille pour les cerveaux’. Cette tendance contraste la manière dont cette catégorie d’immigration est initialement traitée. Historiquement[4], l’admission au séjour des étudiants étrangers est envisagée comme une forme d’aide au développement. Nous allons limiter notre étude à la considération de la situation des étudiants et des chercheurs, en tant que deux catégories prépondérantes de la directive.
La Commission maintient que « [l]a mobilité internationale est susceptible d’accroître la mise en commun des compétences au sein des universités »[5]. Il s’avère donc « essentiel de mettre pleinement en œuvre la directive relative aux étudiants et aux chercheurs, qui a été révisée récemment, afin de faciliter et de rendre plus attrayante la venue dans l’UE et de promouvoir la circulation des connaissances grâce aux déplacements entre États membres. »[6]. Il en découle que la Commission, à ce stade, n’envisage pas une refonte de cette directive, estimant sa version actuelle suffisante pour répondre aux besoins et estimant également qu’une « pleine mise en œuvre » suffirait pour remédier à tous les défis auxquels font face les personnes relevant de son champ d’application.
Néanmoins, le texte actuel de la directive « Étudiants-chercheurs » laisse planer le doute sur son efficacité par rapport à son objectif implicite. En l’espèce, il y existe trois domaines dans lesquels la directive ne se montre pas apte à pleinement accomplir ces tâches principales : la reconnaissance des diplômes pré-universitaires obtenus dans les pays tiers ; les conditions de séjour à la suite de l’admission dans un établissement d’enseignement supérieur ; et la facilitation de la mobilité des étudiants et des chercheurs à l’intérieur de l’UE (la question de la mobilité intra-UE sera examinée ultérieurement).
Reconnaissance des diplômes étrangers. C’est le premier obstacle que rencontrent les étudiants étrangers. En l’espèce, nous parlons ici du manque d’harmonisation des législations des États membres en la matière. De Lange identifie une ‘jungle légale’ à laquelle font face les étudiants étrangers[7]. Elle se résume en de multiples points d’interaction entre divers domaines juridiques, tels que le droit administratif, le droit du travail ou encore le droit de l’enseignement supérieur.
Le manque d’harmonisation en la matière engendre des différences de traitement, étant donné que chaque État membre a ses propres règles quant à la reconnaissance des diplômes donnant accès à l’enseignement supérieur. Il serait donc possible que le titulaire d’un tel diplôme puisse poursuivre ses études supérieures dans certains États membres, mais pas dans d’autres. La directive reste muette à ce sujet.
Conditions de séjour. La directive « Étudiants-chercheurs » simplifie la procédure administrative de l’admission au séjour introduite auprès des autorités d’immigration des États membres. Il est laissé une primauté aux institutions de l’enseignement supérieur quant à la détermination de l’éligibilité des candidats à tel point que dans la pratique, une décision d’admission d’un ressortissant de pays tiers par l’établissement d’enseignement supérieur vaut presque de facto la décision d’admission au séjour. Le rôle des autorités nationales d’immigration devient majoritairement administratif. La jurisprudence de la CJUE confirme ainsi implicitement que les établissements de l’enseignement supérieur sont les seuls à apprécier l’aptitude et la compétence de l’étudiant à suivre les cours[8].
La nouveauté par rapport à la version précédente de la directive est la possibilité d’agrément pour les établissements d’enseignement supérieur[9]. Si un État membre choisit de l’instaurer, la directive prévoit le rejet obligatoire de la demande lorsque celle-ci émane d’un établissement non-agréé[10]. Cet instrument reflète une approche conservatrice de la directive. Si le but de la directive est de rendre plus facile la venue d’étudiants et de chercheurs étrangers, il serait plus utile de donner les mêmes possibilités à tout établissement d’enseignement supérieur accrédité dans l’État membre concerné. Même facultatifs, et conçus comme un mécanisme ‘exceptionnel’, les agréments reflètent un repli vers l’optique sécuritaire, qui régit déjà la plupart des autres instruments juridiques de l’ELSJ. L’accès des étudiants étrangers au marché du travail est aussi un point d’intérêt. Selon le considérant 52 de la directive, « le principe de l’accès des étudiants au marché du travail devrait constituer la règle générale ». Cependant, les États membres conservent la possibilité de prendre en considération la situation de leur marché du travail dans des cas exceptionnels. Or, cet accès s’avère trop restreint. Il est garanti aux étudiants un nombre minimal d’heures de travail, à savoir 15 heures par semaine – une nette augmentation par rapport à la directive 2004/114/C. Il est laissé une marge de manœuvre aux États membres, dans la mesure où les législations nationales peuvent accorder un accès au marché du travail. Chaque État membre traite cette question de manière différente[11]. Certains limitent le temps de travail des étudiants, d’autres non.
Étant donné que la question de l’accès au marché du travail pendant les études est souvent le facteur déterminant dans le choix de destination, il serait pertinent d’augmenter le seuil minimal d’heures de travail, voire de le supprimer parce que le travail à temps partiel pendant les études ne peut couvrir qu’une partie des frais d’étude. De surcroît, nous remarquons que la plupart des États membres ayant limité l’accès au marché du travail sont ceux au coût de la vie considérablement plus élevé que dans le reste de l’UE et au taux de chômage a priori plus faible. La limitation est susceptible de créer une barrière financière à l’accès aux études supérieures des personnes autrement admissibles aux établissements d’enseignement supérieur. Cela est difficile à comprendre dans une situation où les États membres souhaitent attirer des individus compétents, et où il existe déjà la possibilité de prendre en considération le marché du travail national et de réagir en cas de taux de chômage élevé en restreignant l’accès au marché du travail de manière proportionnée. Le simple fait que certains États membres n’appliquent aucune limite quant au temps de travail justifie ce propos et souligne cette incohérence.
Ensuite, bien que la directive n’ait pas pour objet de réguler l’admission et le séjour de ressortissants de pays tiers à des fins d’emploi[12], l’accès illimité au marché du travail ne modifierait en rien le motif de séjour. Quant aux craintes de l’abus de la procédure pour gagner l’accès à l’UE à d’autres fins, l’exigence de progression des études suffisante garantirait que le motif principal de séjour reste la poursuite d’étude. Ce serait donc à l’étudiant concerné d’estimer s’il a les capacités nécessaires de poursuivre ses études avec succès et en même temps de financer son séjour par un emploi. Cela n’empêche pas les vérifications par rapport au motif réel de séjour par d’autres moyens.
Enfin, dans l’esprit de vouloir garder les talents étrangers après leurs études, la directive prévoit la possibilité d’une période durant laquelle l’ancien étudiant ou chercheur peut rester sur le territoire de l’État membre d’accueil au-delà de la fin de ses études ou après la fin de son projet de recherche. Bien que cette possibilité soit qualifiée d’« innovatrice » par la doctrine[13], sa mise en œuvre pratique n’est pas idéale. La période minimale de séjour aux fins de la recherche de travail/création de l’entreprise ne peut être inférieure à 9 mois[14]. Cette durée est un compromis entre la proposition de la Commission de 12 mois, l’amendement du Parlement (18 mois) et la position du Conseil (6 mois). Cependant, une partie des États membres a prévu des durées supérieures de séjour à cette fin. Ces dépassements peuvent atteindre une durée de 12 mois (PT, ES, IT, FR, AT, NL, PL), voire 18 mois (DE)[15].
Cependant, l’article 25(3) dispose que l’étudiant ou le chercheur qui souhaite rester, doit introduire une nouvelle demande de titre de séjour. De plus, la directive dispose que « l’autorisation délivrée aux fins d’identifier les possibilités d’exercer une activité professionnelle ou de créer une entreprise ne devrait pas accorder un droit automatique d’accéder au marché du travail ou de créer une entreprise ». Ces restrictions s’expliquent par la volonté des États membres de garder le contrôle sur la main d’œuvre étrangère mais elles n’en restent pas moins incohérentes. Pour attirer des étudiants provenant d’États tiers, il faut qu’ils puissent bénéficier de garanties d’accès à l’emploi à l’issue de leurs études.
Partie II – L’attraction des talents et la logique du marché intérieur pour faciliter la mobilité intra-UE
Toute forme d’immigration régulière dans l’UE octroie un droit à la mobilité intra-UE. Cependant, les modalités d’exercice de ce droit varient. La Commission reconnaît la nécessité d’assurer « de meilleures possibilités de déplacement et de travail dans des différents États membres »[16], mais les dispositions législatives en la matière n’offrent pas les mêmes possibilités de mobilité au sein de l’Union européenne, malgré des situations analogues dans certains cas de figure.
A. La directive « Carte bleue » – mobilité renforcée
La nouvelle version de la directive détaille plusieurs aspects dans la régulation. À propos de la mobilité intra-UE, deux cas de figure se profilent : celui du titulaire de la « Carte bleue », et celui des membres de sa famille. De plus, la nouvelle version de la directive distingue la mobilité à court terme et à long terme. Un autre critère intégré à la nouvelle version de la directive est celui de (non)application de l’acquis Schengen.
Elle prévoit aussi un délai plus court pour exercer le droit à la mobilité. La nouvelle directive n’exige aucune durée minimale de séjour dans le premier État membre pour une mobilité à court terme (90 jours dans une période de 180 jours)[17]. De plus, aucune autre autorisation à part la « Carte bleue » européenne ne sera exigée pour l’exercice des activités économiques dans un État membre appliquant intégralement l’acquis Schengen.
En cas de mobilité à long terme, le délai après lequel le titulaire de la « Carte bleue » délivrée par le premier État membre est autorisé à s’établir dans un autre État membre après une période de 12 mois de séjour dans le premier État membre (contrairement à la période de 18 mois, prévue par le texte actuellement en vigueur – cf. supra). La nouvelle directive prévoit des dispositions particulières quant aux membres de la famille qui rejoignent ou accompagnent le détenteur de la « Carte bleue » européenne : la directive 2003/86/CE serait applicable mutatis mutandis, conformément aux dérogations prévues par la directive « Carte bleue », notamment quant aux facilitations à la mobilité applicables au détenteur de la « Carte bleue » lui-même. De plus, la nouvelle directive permet aux membres de la famille d’entrer et de séjourner dans le deuxième État membre exclusivement sur la base de leurs titres de séjour délivrés par le premier État membre, pendant la période de l’examen de leur demande de titre de séjour dans le deuxième État membre[18], ainsi dérogeant l’article 13(1) de le directive 2003/86[19], qui exigerait l’examen préalable[20] de leurs demandes par le deuxième État membre. La mobilité vers le « troisième » État membre est mieux régie et peut désormais avoir lieu après six mois de résidence dans l’État membre précédent[21].
La nouvelle directive renforce de manière considérable les possibilités de mobilité des détenteurs de la « carte bleue » européenne. Les dispositions régissant la mobilité à court terme de manière plus claire sont utiles du point de vue pratique, tandis que les conditions de mobilité à long terme plus souples contribuent à l’intégration des ressortissants de pays tiers à la société européenne dans un sens plus large, malgré la crainte des États membres vis-à-vis du manque de contrôles[22].
B. Directive « Étudiants-chercheurs » – une application plus efficace mais insuffisante
En raison du besoin « d’accroître la mise en commun des compétences disponibles au sein des universités et des instituts de recherche européens »[23] l’adaptation du volet ‘mobilité’ de la directive « Étudiants-chercheurs » devient nécessaire. Pourtant, la question de la mobilité des personnes relevant du champ d’application de la directive « Étudiants-chercheurs » ne serait pas traitée de manière adéquate par sa « pleine mise en œuvre ».
La version actuelle de la directive n’offre pas de mécanisme de mobilité intra-UE efficace. Pour cette raison, De Lange décrit la mobilité intra-UE comme une étape de la ‘jungle juridique’ auquel font face les étudiants et les chercheurs[24]. Même s’il est vrai que la directive prévoit les possibilités de mobilité, leur mise en œuvre pratique est loin d’être efficace. Elle distingue la mobilité dont peuvent bénéficier les chercheurs (courte et longue durée), et celle dont peuvent bénéficier les étudiants (où il n’y a pas de distinction par rapport à la durée).
Pour la mobilité de courte durée des chercheurs (180 sur 360 jours), la directive prévoit la possibilité pour les États membres d’accueil d’imposer l’obligation de notifier leurs autorités compétentes, l’intention du chercheur de faire une mobilité. Cette notification est matériellement une autorisation. L’article 28(2-7) prévoit la possibilité pour les États membres d’émettre des objections à la mobilité du chercheur, la rendant ainsi impossible. De plus, ces dispositions mettent en place une procédure complexe qui ne semble pas être appropriée à une mobilité de courte durée. Au moins 17 États membres adoptent la procédure visée à l’article 28. La variété des solutions adoptées par les États membres empêche une application uniforme de la directive – d’autant plus qu’il y existe trois mécanismes de mobilité des personnes relevant de son champ d’application et que les États membres ont à leur disposition divers outils[25]. Le manque d’harmonisation est susceptible de rendre les démarches administratives plus difficiles. Vu l’analogie, la mobilité de courte durée des chercheurs pourrait être régie de la même façon que la mobilité de courte durée des travailleurs hautement qualifiés, en se référant à la nouvelle directive « Carte bleue ».
La mobilité de longue durée des chercheurs est également conditionnée. Les exigences diffèrent par rapport à celles d’une mobilité courte. Dans ce cas de figure, le deuxième État a deux options : soit appliquer l’article 28 mutatis mutandis ; soit appliquer l’article 29 de la directive. Dans ce dernier cas de figure, le dépôt d’une demande pour une mobilité de courte durée donne lieu à un examen par les autorités compétentes du deuxième État membre dans un délai de 90 jours. La durée de ce type de mobilité (plus de 180 jours) pourrait véritablement mériter une procédure supplémentaire, mais le délai fixé à 90 jours est trop long, étant donné que l’instrument de la mobilité académique implique le retour dans l’État membre où se situe l’établissement d’enseignement supérieur où le chercheur est inscrit. Il n’y a donc pas lieu dans ces circonstances de craindre l’arrivée de chercheurs et de leur imposer une charge administrative qui pourrait s’avérer, dans des cas extrêmes, dissuasive à leur mobilité, ce qui serait contraire à l’esprit de la directive.
Les étudiants bénéficient d’un régime différent. La directive ne fait aucune distinction par rapport à la durée de leur mobilité[26]. La distinction est faite en fonction de la participation (ou non) à un programme d’échange universitaire[27]. Les participants à l’un de ces programmes sont automatiquement exemptés de l’obligation de soumettre une demande auprès des autorités du deuxième État membre, mais comme le précisent Correia Horta & Antoons[28], les États membres disposent toujours d’une possibilité d’exiger une notification de mobilité des étudiants. De Lange et Calers identifient une lacune de la directive par rapport à la mobilité des étudiants aux fins de stage de fin d’études.
Partie III – la difficulté de développer des instruments uniques en matière de migration régulière
A. Un statut uniforme élusif
La directive « Carte bleue ». À la différence de la green card américaine, le dispositif européen est en concurrence avec d’autres mécanismes nationaux, ce qui incite les États membres à recourir à leurs propres dispositifs pour attirer la main d’œuvre hautement qualifiée, et empêche la réalisation d’un rôle fédérateur de la « Carte bleue » européenne, étant donné que les dispositifs créés par les législations nationales, ne permettent pas la mobilité dans l’UE. La Commission européenne a proposé un réexamen de cette directive, dans ses orientations politiques de 2014. La proposition de 2016 visait à abolir les systèmes nationaux parallèles afin d’améliorer l’efficacité du dispositif « Carte bleue »[29]. Or, en raison d’une forte opposition des États membres disposant des systèmes nationaux pour attirer la main d’œuvre qualifiée (tels que la Suède ou les Pays-Bas)[30], les négociations au Conseil furent bloquées.
La persistance des systèmes nationaux ne permet pas l’utilisation pleine et entière du potentiel de la directive. Sa raison d’être est de faciliter l’immigration des travailleurs hautement qualifiés et de la rendre possible dans les mêmes conditions dans tous les États membres. Pour ce faire, il faut orienter tous les acteurs concernés vers le dispositif européen. Il serait donc crucial à la fois de véritablement inciter les talents étrangers, par des conditions substantiellement plus favorables, et d’éliminer les systèmes nationaux, afin d’assurer une approche plus cohérente.
La directive « Résidents de longue durée ». Cette directive n’établit pas un statut de résident de longue durée de l’UE– le résident en question est toujours le résident de longue durée de l’État membre qui lui octroie ce statut.
La Commission estime que cette directive n’est pas suffisamment utilisée. Les États membres préfèrent octroyer le statut de résident de longue durée conformément aux législations nationales[31]. La directive établit uniquement les conditions d’acquisition de ce statut dans les États membres, à savoir la durée de résidence légale. Or, la directive ne prétend pas remplacer le statut de résident de longue durée établi par les législations nationales. De plus, son champ d’application est trop limité. Si l’exclusion des solliciteurs d’une quelconque forme de protection internationale, des travailleurs temporaires et du personnel diplomatique et consulaire s’avère justifiée en raison d’incompatibilité des champs d’application des instruments juridiques régissant ces situations, l’exclusion des bénéficiaires de protection internationale dans un État membre ou encore des étudiants et des chercheurs (à condition qu’ils remplissent les autres conditions exigées par la directive) ne mérite pas une telle justification. Au contraire, l’acquisition du statut de résident de longue durée des étudiants et des chercheurs s’inscrit bien dans la logique de leur intégration à la société européenne et au marché unique.
Comme précisé auparavant, la directive ne prévoit pas un droit effectif à la mobilité[32]. Comme toute autre catégorie d’immigration légale, les résidents de longue durée de l’UE ont aussi la possibilité de se rendre dans d’autres États membres pour une période dépassant trois mois, à condition de remplir les exigences du Chapitre III de la directive. Les conditions d’admission au séjour des résidents de longue durée UE dans un deuxième État membre, bien entendu, adaptées à cette catégorie d’individus, reflètent largement les autres instruments en la matière (ressources stables, assurance maladie). Cependant, les points de friction sont possibles au niveau des droits que confère le statut de résident de longue durée des différents États membres. La directive n’harmonise pas la législation des États membres à un tel degré, et de plus, elle laisse un certain nombre de domaines non-couverts – par exemple, le droit de voter aux élections locales ou régionales – la possibilité qui existe en SI, EE, HU, LU, ES, ou encore l’accès aux soins (PT)[33].
Une telle divergence par rapport au statut des résidents de longue durée entre États membres est susceptible de produire la confusion du grand public affecté par la directive. La Commission souligne qu’il est trop peu recouru à cette directive – en grande partie en raison du manque d’information des administrations nationales sur la possibilité d’octroyer le statut de résident de longue durée UE, et donc attribuent le statut de résident de longue durée en vertu des législations nationales[34].
B. La nécessité d’une harmonisation des autorisations de séjour et de travail
En règle générale, lorsqu’un étranger souhaite s’établir dans un État autre que celui de sa nationalité, il est obligé de demander un permis de séjour et une autorisation de travailler. La législation de l’Union européenne dispose d’un instrument dont le rôle est de fusionner les deux procédures dans une seule procédure d’admission au séjour, à l’issue de laquelle le demandeur devrait, théoriquement, se voir attribuer un seul document valant les deux permis en vertu de la directive « Permis unique »[35].
Son objectif est d’harmoniser les règles en matière d’attribution des autorisations de séjour et de travail des ressortissants de pays tiers. Elle établit aussi un socle commun de droits pour les ressortissants de pays tiers qui résident légalement dans un État membre. Il s’agit d’une directive cadre qui couvre également les travailleurs étrangers admis au séjour conformément aux dispositions du droit national.
Le socle commun de droits conférés aux ressortissants de pays tiers inclut le droit de circuler, de travailler et de résider sur le territoire de l’État membre qui a délivré le titre de séjour en question. Néanmoins, les États membres peuvent limiter l’accès à certains droits conférés par la directive, tels que l’éducation, la formation professionnelle, le traitement fiscal, l’accès aux marchandises et services, ou encore la sécurité sociale. Conséquemment, la directive permet aux États membres de porter préjudice à l’efficacité de quatre droits sur huit conférés par la directive[36]. Étant donné l’approche restrictive des États membres en matière d’immigration, des limitations plus prononcées des droits dans le cadre de la marge d’appréciation des États membres sont plus que probables. Or, cette liberté des États membres de limiter le traitement égal des demandeurs n’est pas sans limite. La Cour de justice a tranché dans l’affaire Kamberaj[37], que les références au droit national ne devraient pas justifier des entraves à l’effectivité de cette directive lors de l’application du principe du traitement égal.
La directive établit uniquement la procédure unique pour la délivrance des titres de séjour et des autorisations de travail, et en elle seule, ne confère pas le droit aux ressortissants de pays tiers d’entrer et de séjourner dans un État membre aux fins d’emploi ou de recherche de l’emploi. Elle ne traite que les aspects procéduraux.
En observant que la directive « n’a pas pleinement atteint son objectif de simplification des procédures d’admission pour l’ensemble des travailleurs provenant de pays tiers »[38], la Commission constate qu’une révision de la directive serait indispensable en vue de « simplifier et de clarifier le champ d’application de la législation, y compris les conditions d’admission et de séjour des travailleurs peu et moyennement qualifiés »[39].
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Le discours politique attribue un rôle secondaire à l’immigration régulière, alors qu’elle représente un intérêt vital pour l’Union européenne et son marché unique.
La refonte de la directive « Carte bleue » est un succès, malgré l’échec de la Commission d’établir un instrument européen unique, tandis que la directive « Étudiants-chercheurs » aurait dû faire l’objet des propositions plus ambitieuses. Les questions de mobilité ou de reconnaissance des diplômes étrangers ont à peine été abordées. Nous sommes convaincus que les dispositions obsolètes de la directive devraient être mises à jour dans une nouvelle refonte. La refonte des directives « Résidents de longue durée » et « Permis unique » apportera probablement quelques nouveautés. Au vu du processus de refonte de la directive « Carte bleue », il est à craindre que les avancées manqueront d’ambition.